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trop tard pour recevoir les adieux de son illustre chef et pousse aussitôt jusqu’à Brisach. Déjà, dans sa prévoyance, il avait secrètement fait marcher vers cette place la poignée de soldats français dont il disposait.

Brisach était entre les mains du général major d’Erlach, à qui le duc de Weimar l’avait confiée. C’était un Suisse du canton de Berne et de race militaire ; depuis cent cinquante ans, vingt-huit officiers de son nom avaient figuré sur les contrôles de l’armée française ; lui-même avait commandé quelque temps un régiment à notre service ; mais quelles que fussent ses sympathies pour la France, elles ne pouvaient l’aveugler sur ses intérêts ; c’était par là qu’il fallait le prendre. Déjà, à la première nouvelle de la maladie de Bernard, le général Bannier avait écrit (1er août 1639) au gouverneur de Brisach pour lui rappeler ses devoirs envers la couronne de Suède. Guébriant prouva facilement à son camarade que le roi de France était le plus puissant, le plus proche, que sa caisse était la mieux garnie, et que lui seul payait. D’Erlach se laissa persuader, fit une réponse évasive à Bannier ; écrivit au secrétaire d’état De Noyers une longue lettre où il indiquait ce qu’il y avait à faire pour conserver à la France, l’armée weymarienne et les places qu’elle occupait. Le courrier ne tarda pas à revenir, rapportant à d’Erlach le brevet d’une large pension, celui du gouvernement de Brisach, timbré cette fois aux armes de France ; des lettres de naturalisation, ce qui était un hors-d’œuvre, et, ce qui était plus positif, la patente pour l’exploitation des mines de Munster et de Delémont[1], qui devaient approvisionner de fer nos places et notre armée[2]. Avons-nous besoin d’ajouter que d’Erlach su tirer parti des droits que lui conférait cette patente et qu’il y veilla avec autant de jalousie qu’à tenir hors de Brisach tout agent qui pouvait le gêner ? Quatre colonels, qui prirent le nom de directeurs, traitèrent au nom de l’armée weymarienne définitivement engagée au service de la France, moyennant de larges avances immédiates et de1 bonnes garanties données, aux chefs et à leurs mandans.

Guébriant avait tout fait ; car lest commissaires spéciaux, d’Oysonville, Choisy, Tracy et autres ne signèrent que pour confirmer ses actes et sa parole. Il n’eut rien pour lui, ni argent, ni titre nouveau ; on lui trouvait encore trop peu d’étoffe pour lui donner officiellement l’autorité sur ces hommes qui ne connaissaient que lui. Le

  1. Dans le pays de Parentruy, ou ancien, évêché de Bâle, aujourd’hui Jars bernois Depuis la réformation jusqu’à 1792, cette contrée a été presque constamment administrée par l’ambassadeur de France en Suisse, qui résidait à Soleure, comme l’évêque dépossédé de Bâle.
  2. Papiers de d’Erlach.