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est allé chercher Beck aux portes de Luxembourg, et Beck n’a pas bougé ; nul danger pour la frontière ni pour sa conquête ; la saison des opérations touche à son terme, son retour est attendu ; il dirige ses troupes sur leurs quartiers, voit partir d’Aumont et Sirot, qui les conduisent, expédie en avant de lui La Moussaye d’abord, puis Espenan, et part le dernier du camp d’Étain, où il n’y a plus d’armée (12 septembre). Il approche de Paris et vient de passer Dormans lorsque son carrosse est arrêté par un voyageur qui allait le chercher à son quartier-général. C’était M. de Tracy[1], commissaire-général et colonel dans l’armée d’Allemagne.

Tracy avait laissé Guébriant le 2 septembre à Ernstein, en Alsace, sur l’Ill, à environ quatre lieues au sud-ouest de Strasbourg. L’armée française d’Allemagne avait dû repasser le Rhin, non plus pour assister celle du Luxembourg[2] et l’aider à repousser une coalition d’Impériaux et d’Espagnols, mais parce qu’elle ne pouvait plus se maintenir dans le pays de Bade ; les Bavarois renforcés s’étaient rapprochés du Rhin ; privé du concours des Hessois, qui s’étaient cantonnés dans leur pays, obligé de laisser une force considérable dans Brisach, et ne voulant pas dégarnir les places avancées de Hohentwiel et d’Uberlinden, le maréchal manquait d’hommes pour résister à Mercy, qu’Hatzfeld pouvait rejoindre d’un moment à l’autre. Il avait adressé au roi un appel suprême, demandant un secours effectif pour reprendre l’offensive. Si on ne pouvait l’assister, il serait forcé d’abandonner l’Alsace, et, ne voulant pas repasser les Vosges, il irait s’établir en Franche-Comté, d’où il menacerait le flanc d’une armée d’invasion. Avec ces dépêches de Guébriant, la cour recevait d’Alsace un flot de réclamations, du gouverneur suédois de Benfeld, des chefs de la noblesse libre et franche du saint-empire, de Basse-Alsace, des préteur et sénat de Strasbourg, des magistrats des villes qui s’étaient données à la France, tous parlant au nom de leurs sujets, alliés ou administrés, tous effrayés ou irrités de voir le fléau de la guerre ramené sur la rive gauche du Rhin, leur pays exposé aux ravages des Bavarois, et déjà livré aux déprédations des Weymariens, hôtes fort incommodes.

  1. Tracy (Alexandre Prouville, marquis de) servait constamment, depuis 1632 aux armées de Lorraine et d’Allemagne ; commissaire-général de l’armée par brevet du 14 septembre 1641, colonel de cavalerie en 1642, conseiller d’état en 1643, il obtint le régiment de dragons Guébriant après la mort du maréchal, et continua de servir en Allemagne jusqu’aux troubles, durant lesquels il changea de parti plusieurs fois. Envoyé au Canada comme lieutenant-général en 1665, étant alors âgé de plus de soixante-dix ans, il combattit avec succès les Iroquois et mourut en 1668, peu après son retour en France.
  2. L’armée de Picardie-Champagne était ainsi désignée depuis le commencement du siège de Thionville.