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Benfeldt, dont le commandant suédois, Möckel, oublia un moment sa mauvaise humeur habituelle et le redoublement récent de son mécontentement, enfin à Strasbourg, où il fut admis avec une suite de soixante gentilshommes. Gouverneurs de places françaises ou étrangères, magistrats de villes libres, maîtres ou sujets, bourgeois et soldats, tous voulaient voir et fêter ce jeune prince, « déjà si grand capitaine et si renommé en son petit âge[1]. » M. le Duc profitait de cette excursion pour examiner avec soin les fortifications, recueillir des plans, acquérir une connaissance des lieux, des hommes et des choses qu’il devait mettre à profit plus tard. Il eut aussi plusieurs entretiens avec Guébriant et ses lieutenans, examina avec eux la situation militaire et donna son avis sur les opérations bien tardives, hélas ! qui allaient être entreprises.

Aux dernières nouvelles, les Bavarois étaient remontés vers le nord et se retranchaient sur l’Alb, d’Esslingen au Rhin. Ils se rapprochaient ainsi du duc Charles, qui se tenait à cheval sur le grand fleuve, gardant les ponts, ayant du monde à Landau, Worms, Spire. Ils restaient en communication avec Hatzfeld en marche vers le Main, et attendaient de nouveaux contingens. Maximilien disposé peut-être à négocier avec la France, mais voulant avant tout se faire craindre et compter, avait ordonné une sorte de levée en masse, appelé tous les gentilshommes de ses états, les chasseurs et forestiers des Alpes bavaroises. Ces forces, réunies sous la direction d’un général tel que Mercy, pouvaient produire un effort considérable ; cependant rien ne devait être complet avant le printemps, et les généraux alliés songeaient à hiverner en Franconie. Mais ils étaient tenus en suspens par les mouvemens de l’armée du Luxembourg, craignaient un retour offensif sur la Sarre et le Rhin moyen, voulaient rester à portée de leurs ponts et en mesure de secourir Beck et Melo. Était-ce pour détourner leur attention que Guébriant avait tant parlé de Worms et de Spire, et dans son insistance à conseiller la marche par Kaiserslautern, y avait-il eu quelque affectation, peut-être une indiscrétion volontaire ? Ces rumeurs accréditées avaient eu pour résultat de retenir l’ennemi, de le ramener vers le nord, de dégager la route qui s’ouvrait devant Guébriant. Celui-ci ne songeait qu’à s’assurer de bons quartiers en Souabe, à mettre en sûreté ses postes avancés aux sources du Danube et sur le lac de Constance, Hohentwiel, Tüttlingen, Uberlinden ; au printemps, il porterait la guerre dans les états mêmes du duc, ou plutôt, comme on l’appelait déjà, de l’électeur de Bavière, peut-être dans ceux de l’Empereur.

Des lettres pressantes furent adressées à Beauregard, notre

  1. Lettre des magistrats de Colmar à Guébriant.