Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baptisée. La parole du cardinal ne fut pas inutile ; dans Lyon la catholique, ce fut un encouragement, ce fut un ordre. Bien des bourses jusque-là fermées s’ouvrirent et l’on put louer, dans la rue Vide-Bourse, une maisonnette où les incurables déjà recueillies furent installées. Marie « la Brûlée, » impotente et ne pouvant marcher, était tellement hideuse qu’un cocher de fiacre refusa de la recevoir dans sa voiture. Mme Garnier la chargea sur ses épaules et l’emporta. Ceci se passait le 3 mai 1843.

On avait « déménagé » trois malades ; la maison était assez spacieuse pour en contenir dix-sept, qui y furent bientôt ; le nombre des pensionnaires avait augmenté, celui des veuves qui les servaient et quêtaient pour elles s’était également augmenté. L’ardeur de Mme Garnier, dont on avait souri jadis, n’excitait plus que l’émulation ; l’œuvre de la « visionnaire » commençait à convaincre les incrédules et on s’empressait d’y participer. On put se déplacer, aller occuper une maison plus vaste, et, le 5 mai 1845, on s’établit à un endroit nommé les Bains-Romains, non loin de Notre-Dame de Fourvières, qui est un lieu de pèlerinage cher à la population lyonnaise. La maison, bien située, était déjà presque un hospice ; les dames veuves ne suffisaient plus à la besogne quotidienne, on leur adjoignit des filles de service qui purent les soulager et ne laisser aucun malade en souffrance. L’œuvre s’était développée dans des proportions et avec une rapidité inespérées ; on dut songer à lui donner une sorte de discipline définitive, et Mme Garnier en rédigea elle-même le règlement organique, tel qu’il est en vigueur aujourd’hui. L’œuvre se compose : 1° de dames veuves agrégées qui viennent à l’hospice panser les incurables ; 2° de dames veuves qui résident dans l’hospice et soignent les malades ; 3° de dames veuves zélatrices qui quêtent pour accroître les ressources nécessaires au traitement des malades et à l’entretien de la maison ; 4° d’associées qui versent une cotisation annuelle dont le minimum est de 20 francs. Tout le poids de l’œuvre porte sur des veuves : c’est l’ordre de la viduité : « Cette pauvre veuve, dit Jésus à ses disciples, a donné plus que les autres. »

Un article des statuts dit expressément : « Les dames sociétaires ne forment point une société religieuse proprement dite. L’association n’exige de ses membres aucun vœu ni perpétuel, ni temporaire. On peut en faire partie sans renoncer entièrement à sa famille, à ses biens, à sa liberté. » C’est là l’originalité de l’œuvre et sa force ; c’est ce qui lui permet un recrutement facile, c’est ce qui offre à certaines natures désireuses du bien, redoutant la contrainte, un attrait auquel elles ne résistent pas ; l’acte de la volonté individuelle est permanent et provoque l’acte de sacrifice. Cette disposition est