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à la fois ingénieuse et habile : on ne déserte point le poste que l’on a librement accepté et l’on accomplit avec joie la tâche que l’on s’est imposée à soi-même. Se figure-t-on ce que serait une armée de volontaires combattant chacun pour sa propre cause et à la place qu’il aurait choisie ? C’était là le fait du groupe qui s’était formé autour de Mme Garnier ; aile encourageait les autres par son exemple, l’exemple des autres l’animait ; entre ces veuves il y avait émulation de chaque minute : on était joyeux de découvrir de nouvelles incurables, on était heureux d’avoir réuni de nouvelles ressources ; celles-ci ne manquaient pas à Lyon, qui est une ville riche, peu luxueuse, économe et charitable. Mme Garnier savait solliciter ; son dévoûment, du veste, était si large que l’on aimait à s’y associer. Elle le vit bien, lorsque, ne consultant personne et obéissant à une de ces impulsions qu’elle ne savait modérer, elle fit une « folie » qui aurait pu compromettre à jamais son œuvre et qui cependant lui donna de plus fortes assises.

Quoique l’on eût changé de logement, on était toujours à l’étroit, car les malades étaient plus nombreux que les lits dont on pouvait disposer. On avait utilisé tant bien que mal d’anciens bâtimens, mais ils devenaient insuffisans à mesure que l’œuvre se dilatait, et Mme Garnier ambitionnait d’avoir un véritable hospice, construit sur ses plans, aménagé pour le service des incurables, et assez vaste pour permettre de ne jamais fermer la porte aux postulantes. Elle apprit qu’un vieux domaine, nommé le dos de La Sarra, situé sur les coteaux de Fourvières, était à vendre : l’ancienne maison, un peu délabrée, avait la réputation excessive d’être un château. Tout autour s’étendait un terrain où bien des bâtisses pouvaient trouver place. Mme Garnier alla trouver le propriétaires le vit huit fois au cours de la même journée, le pria, le supplia, l’émut, le troubla et obtint de lui une réduction de 80,000 francs sur le prix demandé ; on se frappa dans la main et le marché fut conclu. Or, Mme Garnier aurait pu fouiller dans la caisse de l’œuvre des Dames du Calvaire, elle n’y aurait même pas trouvé de quoi acquitter les frais de vente. Aidée de Mme Girard, que l’on pourrait appeler sa première assistante, elle redoubla d’efforts et d’éloquence ; elle réunit toutes les personnes qui, à un titre quelconque, participaient à l’œuvre, et leur expliqua qu’il lui fallait de l’argent, non-seulement pour payer le clos de La Sarra, mais encore pour édifier un hospice, parce que la maison d’habitation ne pourrait suffire qu’au logement des dames sociétaires et des filles servantes. C’était de quoi faire jeter les hauts cris ; nul ne se plaignit ; on avait adopté l’œuvre, on désirait lui donner un développement approprié au but entrevu, on s’imposa des sacrifices qui lurent onéreux ; on apporta toutes les sommes que l’on