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ce clos de La Sarra que Mme Garnier avait si virilement conquis. Malgré le désir que l’on éprouvait de s’étendre et d’envoyer des « missions » dans différentes villes, on hésitait, car l’heure était mauvaise. La guerre avait ruiné bien des gens que la commune avait humiliés jusqu’au désespoir. Était-ce le moment d’essayer de s’établir à Paris et d’y faire appel à la charité épuisée ou affaiblie par les désastres que l’on venait de traverser ? On attendit jusqu’en 1874, et alors on se décida à agir. Mme veuve Lechat, femme énergique, qui possédait plus d’une des qualités de Mme Garnier et dont le visage solidement modelé avait quelque apparence d’un bouledogue attendri, ne douta pas de la générosité de Paris et lui demanda d’indispensables ressources. Quant aux malades, on savait d’avance qu’ils ne feraient point défaut. La propagande de Mme Lechat et de quelques veuves qui se réunirent à elle fut active ; on quêta, on mendia : « Pour les pauvres cancérées, s’il vous plaît ! » Bientôt on put louer et outiller une maison où l’on entra le 8 décembre 1874 et qui fut solennellement inaugurée deux jours après ; actuellement abandonnée par les Dames du Calvaire, cette maison existe encore, je l’ai visitée. C’est un berceau ; — je me suis repris, j’allais dire : une crèche.

Elle est située à l’angle de la rue Léontine et de la rue Alphonse. Je me doute bien que cette indication n’apprend rien au lecteur. Dans le XVe arrondissement, où fut jadis la plaine de Grenelle, que j’ai encore connue presque déserte, au fond du quartier de Javel, on a percé des rues que bordent quelques masures. Près d’un terrain maraîcher où verdissent des poireaux et des laitues, à proximité d’une petite chapelle dont les murs en plâtre ne semblent pas bien solides, un pédagogue plein d’illusions avait fait bâtir une école. Il n’y manquait que des élèves ; les deux marronniers qui ornent le préau ne les remplaçaient pas. il fallut abandonner la maisonnette scolaire. C’était bien loin, c’était bien insuffisant, mais on se répéta le vieux proverbe : « Petit à petit l’oiseau fait son nid » et Mme Lechat, assistée de quatre veuves, loua la maison pour y établir à Paris, la succursale des Dames du Calvaire. On s’aménagea ; l’ancien parloir et l’ancienne classe réunis purent contenir douze lits ; des chambrettes placées au premier étage, c’est-à-dire sous le toit, furent réservées aux dames résidentes ; on improvisa une chapelle dans une sorte de cabinet qui prenait jour sur le jardin maraîcher ; une cahute en pisé recrépi, qui aujourd’hui est une crémerie, faisait office de chambre des morts. C’était étroit et incommode ; actuellement c’est fort sale ; lorsque c’était « l’hospice des femmes incurables, » c’était propre et fourbi tous les jours. L’œuvre semble douée d’une force d’expansion naturelle, car lorsque l’on tenta de