Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’installer à Paris, on ne comptait que cinq dames associées ; au bout d’un an, il y en avait deux cent quarante-six. Comme Lyon, Paris s’empressa d’écouter les voix qui l’imploraient pour d’intolérables souffrances.

La maison, assise sur un terrain bas, n’était pas assez éloignée de la rivière ; on s’en aperçut lors des inondations de 1875 ; une nuit, on cria au secours et sauve qui peut ! L’eau se précipitait. Aller chercher de l’aide à la mairie, il n’y fallait pas songer, la course eût exigé une demi-heure, et c’était plus qu’il n’en fallait à la Seine pour battre les frêles murailles et les jeter bas. On invoqua quelques chiffonniers du voisinage, qui s’empressèrent ; on fit un barrage de tous les matériaux qui tombaient sous la main ; on n’arrêta pas, mais on retarda l’invasion de l’eau ; les malades ingambes s’enfuirent, on emporta les autres, et tout ce pauvre monde effaré, guidé, encouragé par les Dames du Calvaire, put se réfugier à l’asile Payen[1]. Les voisins ne s’étaient pas réservés ; ils avaient protégé la maison, dont le rez-de-chaussée baignait déjà dans l’eau, et ils avaient concouru activement au déménagement des incurables. On voulut les récompenser, ils refusèrent toute rémunération ; on insista, ce fut en vain ; ils disaient : « Nous savons bien que vous êtes des « madames, » mais vous soignez les malades et nous sommes heureux de vous avoir donné un coup de main. » Ils n’en démordirent pas ; à leur façon, ces braves gens avaient participé à l’œuvre du Calvaire.

Le second vicaire de la paroisse de Grenelle, l’abbé Raymond, était l’aumônier du petit hospice, il visitait les pauvres femmes que mange la bête cancéreuse, il leur disait la messe et les réconfortait à l’heure inéluctable qui si souvent sonne au-dessus des lits où reposent les condamnés. C’était, — c’est encore, — un homme jeune, dont l’accent méridional accuse l’origine. Avant de venir à Grenelle, il était à Belleville, où, pendant la commune, il connut les Trinquet, les Ranvier de l’endroit et ne faiblit point devant leurs menaces ; il y était pendant la guerre et il suivit les troupes qui allaient livrer la bataille de Champigny ; on pouvait avoir besoin de son ministère ; en tout cas, un infirmier de plus, robuste et dévoué, n’est jamais inutile aux blessés. Les soldats qu’il escortait n’étaient point très solides au feu ; il y eut de l’hésitation quand éclatèrent les obus ; puis on se débanda et l’on tourna les talons. L’abbé, à ce moment, ne se souvint. que du Dieu des armées, que l’on invoque

  1. L’asile Payen, qui reçoit en hospitalité vingt-quatre vieillards de Grenelle même, a été fondé et est entretenu exclusivement par Mme Payen, fille du célèbre chimiste, membre de l’institut, laquelle consacre sa fortune à des œuvres de charité.