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état. Elie va et vient dans la maison, et peut-être plus d’une malade dont la tête est entourée des langes du pansement, la trouve heureuse et envie son sort, qui est de rester épouvantable à voir.

Sur un lit bas j’aperçois une fillette d’environ treize ans ; le visage, déformé par le gonflement des maxillaires, à une apparence japonaise que ne démentent ni la vivacité des yeux, ni la chevelure relevée à la chinoise. L’expression est intelligente, la parole est vive, le sourire est doux et reconnaissant. Elle reste étendue sur le dos, immobile, diminuée, presque aplatie, n’ayant plus que l’usage de la main gauche qui s’agite au bout d’un bras maigre dont la chair est flasque et la peau jaunâtre. L’absence de phosphate de chaux dans les os les a réduits à l’état gélatineux ; avec un peu d’effort on nouerait les jambes comme un câble ; le bras droit a tellement dévié aux articulations que les doigts de la main sont retournés sur eux-mêmes. La vie semble réfugiée, remontée dans la tête ; elle a délaissé ce corps chimiquement si mal composé ; au-dessus de ce frêle cadavre, il y a un cerveau qui pense, raisonne et ne paraît point s’étonner d’être lié à la mort. Cette enfant ne souffre pas, elle meurt cependant et ne s’en doute guère. Bientôt l’âme quittera cette matière incomplète, et la pauvre petite sera libérée. Près d’elle et paraissant la regarder avec curiosité, un gros animal est assis dans un fauteuil muni d’une planchette qui l’empêche de se lever. Est-ce une femme ? Oui, car elle parle. Les pieds et les mains, de substance molle, sont relevés en sens inverse par une contracture des extrémités résultant sans doute de quelque convulsion antérieure à la naissance ; la langue, énorme et charnue, sort de la bouche et pend sur les lèvres épaisses ; la face, blême et bouffie, est enlaidie de deux yeux saillans, ronds, et qui semblent rouler au hasard d’impulsions que l’on ne devine pas ; la parole est embarrassée et comme empâtée de bestialité ; l’intelligence n’est point fermée, elle s’entr’ouvre et comprend. Cette créature embryonnaire, qui rappelle les méduses inconsistantes que soulèvent les vagues, qui ne peut marcher, qui ne parvient pas à surveiller ses fonctions naturelles, est aujourd’hui âgée de trente-six ans, elle a réussi à s’approprier quelque enseignement religieux et on vient de lui faire faire sa première communion.

L’angio-leucite n’est point rare à l’hospice de la rue Lourmel ; c’est là une appellation bien scientifique ; il s’agit de l’éléphantiasis, mot excellent, peignant bien cette déformation des tissus qui fait ressembler les membres de l’homme à ceux de l’éléphant ; maladie redoutable qui presque toujours se porte aux jambes. Hérodote raconte que, pour s’en guérir, les Pharaons prenaient des bains de sang humai » ; Paracelse est moins cruel, il recommande l’or potable et l’eau distillée de perles fines ; on ignore au Calvaire