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faire le pansement à l’infirmerie des incurables, ce sera un acte d’humilité ou d’ostentation ; elles viennent à jour fixe, plusieurs fois par semaine, avec persévérance, et elles font acte d’héroïsme[1].

Les Dames du Calvaire sont entrées dans le dortoir, je les ai suivies. Toutes, elles se sont agenouillées sur le parquet, les épaules courbées, la tête inclinée ; une d’elles a récité une courte prière dont je n’ai retenu que la dernière phrase : « Daignez, Seigneur, donner à nos malades la patience et la résignation, et à nous l’esprit de foi et de charité. » En ce qui les concerne, je crois que la prière est exaucée. Elles se relèvent et vont vers les malades. J’étais auprès du docteur Eugène Legrand, qui avait bien voulu me permettre de l’accompagner ; il allait de lit en lit, prescrivant une ordonnance, remontant les courages défaillans et disant des paroles d’espoir auxquelles il ne croyait guère ; pour bien des maux, le mensonge, — est-ce bien le mensonge ? — est la part affective du traitement. Tout en marchant à côté du docteur, en écoutant ses explications techniques, je regardais les Dames du Calvaire. J’admirais la douceur et l’agilité des gestes. Il n’y a pas au monde un instrument plus parfait que la main d’une femme adroite ; ces longs doigts, assouplis par l’élégance même du travail choisi qui combat l’oisiveté, ont de merveilleuses délicatesses pour toucher les plaies sans les aviver, pour les laver, pour y étendre la charpie fraîche et rafraîchissante, pour les entourer de bandelettes et pour caresser la joue de la malade quand le pansement est terminé. La besogne est horrible, on ne s’en douterait pas à voir celles qui l’accomplissent.

Je me suis arrêté devant le lit de la petite fille qui semble se liquéfier. J’ai regardé les mains qui la pansaient ; pareilles à des fuseaux d’ivoire, elles avaient une agilité spirituelle : « Esprit de Mortemart, » a dit un vieil adage. Je les admirais ; elles étaient souples et prévoyantes, lorsqu’avec mille précautions ingénieuses, elles soulevaient sans les faire souffrir ces pauvres membres plus flexibles qu’un rouleau de linge mouillé ; on eût dit que les bandes se déroulaient d’elles-mêmes, comme si une fée les eût touchées ; la petite malade s’apercevait à peine qu’on l’entourait de charpie. Elles ne sont point faibles, ces mains, elles ont une vivacité résistante qui, parfois, ne doit point manquer de vigueur. Elles doivent savoir maintenir un cheval qui devient nerveux et fait des réactions en entendant les trompes sonner un bien-aller ou un vol-ce-l’est. O chasseresse, que je ne nommerai pas et que j’ai contemplée avec attendrissement, ce n’est certes pas Endymion. que vous cherchez près de ces lits cancéreux !

  1. Une succursale de l’œuvre des Dames du Calvaire a été récemment établie à Marseille.