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strictement égal à l’intérêt qu’il serait obligé de payer lui-même s’il empruntait au grand jour ; en France, on s’obstine, depuis dix ans, sous prétexte de philanthropie, à allouer aux déposans un intérêt qui est d’un cinquième et parfois d’un tiers plus élevé que celui des emprunts nouveaux contractés par l’état. Dans les pays où l’on fait beaucoup de chemins de fer, comme aux États-Unis, le gouvernement se garde bien de les construire ou de les exploiter ; l’Angleterre, pour ses travaux de ports et de docks, s’en remet à des sociétés privées ou à des corporations locales, qui perçoivent des droits au moyen desquels elles se rémunèrent de leurs dépenses ; en France, depuis 1875, l’état, bien loin de les solliciter, a repoussé dédaigneusement tous les concours qu’il eût dû rechercher. En même temps, l’on dégrève ; on se vante d’avoir diminué de 300 millions de francs les impôts, et l’on ne réfléchit pas que ces dégrèvemens ont été si malencontreusement combinés que la plupart n’ont profité en rien à la production nationale, que l’un des plus considérables, par exemple, celui sur les vins, a fait perdre au trésor 70 millions de francs sans qu’il soit possible de dire que personne, pas même les consommateurs, ait bénéficié de cette décharge. Le vieux mot « d’état Providence » est sans doute bien usé ; nos députés, qui ne croient plus à la Providence, semblent n’avoir pas perdu toute foi au surnaturel, tellement ils violent avec acharnement les règles de la nature des choses. La conduite des finances de la France, depuis six ans, ressemble à une féerie où des milliards inépuisables seraient à la disposition des caprices infinis d’un homme longtemps pauvre et soudainement enrichi. C’est, en effet, une politique d’apparat et de décor que l’on applique avec persévérance. Les mêmes entraînemens, les mêmes illusions, les mêmes rêves que l’on trouve dans le gouvernement central, on les rencontre dans les trois quarts des communes et les trois quarts des départemens de France. C’est un personnel inexpérimenté et naïvement prodigue qui a pris possession de la plupart des assemblées locales, et il exagère, lui aussi, les dépenses utiles, multiplie les superflues, développe les extraordinaires, et se lance à corps perdu. dans les emprunts et les déficits,


I

En nous bornant aux finances nationales, il est aisé de montrer que ce jugement n’est pas trop sévère. La situation des derniers exercices budgétaires en fait foi. Le dernier budget du second empire, régime que l’on ne peut taxer à coup sûr d’excessive parcimonie, s’élevait en dépenses à 1 milliard 621 millions ; il s’agit