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que cinquante représentations, au théâtre ; et dans les années qui suivirent, il ne s’imprima pas moins d’une trentaine d’ouvrages à l’imitation du chef-d’œuvre. Évidemment la mode y était. Or, quel plaisir y cherchait-on ? et à quoi la curiosité s’y intéressait-elle ? Aux portraits, comme nous le savons par le nombre des clés qui nous en sont parvenues, c’est-à-dire aux imitations d’après le vif, et dont un habile déguisement, en imposant au lecteur la nécessité de chercher un original qu’il finissait toujours par retrouver, assaisonnait encore la malice. L’homme est toujours l’homme : le XVIIe siècle dans sa gloire a aimé, comme le nôtre, les indiscrétions, et quand on lui en a donné, il y a couru. Dans les Caractères de La Bruyère, ce que nous admirons aujourd’hui, nous qui sommes à deux cents ans bientôt de la cour de Louis XIV, c’est la part de vérité générale que l’art merveilleux d’un grand maître a su comme emprisonner dans ces linéamens qu’il croyait copier d’après nature. Mais ce que les contemporains en ont tout particulièrement goûté, n’essayons pas de nous donner le change, c’en sont les applications, ce qu’il y avait d’observé de près et, par conséquent, d’individuel, dans chacun de ces portraits, le sel de la médisance et souvent aussi, probablement, de la calomnie. C’est justement là ce qui fera quelques années plus tard le grand succès du Diable boiteux. Dans cette inépuisable galerie d’originaux qui forme le livre des Caractères, Le Sage n’aura eu qu’à puiser à pleines mains, les animer, et faire agir en quelque sorte sur la grande scène de la vie ces portraits descendus de leur cadre.

En effet, du Diable boiteux, ôtez la fable, qui, sans doute, n’y est pas essentielle, et numérotez les paragraphes comme on a fait ceux des Caractères, vous avez un livre du même genre. Cela est tellement vrai que, dans les premières éditions, la table des matières est rédigée, par caractères, dans la forme suivante : Ch. III. — La Vieille Coquette, le Vieux Galant, le Musicien, le Poète tragique, le Greffier… Ch. X. — Le Licencié, le Maître d’école, la Vieille Marquise, la Procureuse, le Peintre de femmes… Ch. XII. — L’Allemand, le Français, le Comédien, la Comédienne, l’Auteur dramatique, etc. Au même point de vue, il n’est pas moins curieux d’étudier les corrections, additions, et retranchemens que Le Sage a fait subira son œuvre dans l’édition définitive qu’il en a donnée, dix-neuf ans après la première. On le voit alors qui supprime unifiait divers dont la singularité faisait, en 1707, l’objet des conversations parisiennes, et qui en introduit un autre, signatum prœsente nota, frappé à la marque de 1726. « Considérez dans la chambre prochaine, disait l’Asmodée de la première édition, ces deux prisonniers qui s’entretiennent au lieu de se reposer. Ils ne