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en 1725, le Temple de Mémoire, celle de ses pièces que « l’illustrissime, « le « célébrissime, » « l’élégantissime » auteur de la Henriade, comme il y est appelé, ne devait jamais lui pardonner[1]. En 1726, il donne une nouvelle édition, très augmentée, de son Diable boiteux. Les années suivantes, avec ses collaborateurs habituels, d’Orneval et Fuzelier, on dirait qu’ils ont fait gageure de défrayer les spectacles de la Foire. Enfin il fait paraître, en 1732, sa traduction de Guzman d’Alfarache et son roman des Aventures de M. de Beauchêne ; en 1784, la Journée des Parques, et sa réduction de la Vie d’Estevanille Gonzalez ; en 1735 ; la dernière partie de Gil Blas ; en 1786, le Bachelier de Salamanque, — sans compter, comme toujours, de nombreux vaudevilles. Ce ne sont pas là, semble-t-il, les signes d’une veine qui s’épuise et d’une inspiration qui tarit. Mais il y faut regarder plus attentivement. On s’aperçoit alors une cette fécondité n’est qu’apparente. En réalité, à mesure qu’il a imité de l’espagnol ce qui lui paraissait susceptible d’en être utilisé, le Sage en a soigneusement conservé les morceaux. Maintenant que l’artiste scrupuleux a fait emploi de tous les matériaux qu’il avait assemblés pour en former son chef-d’œuvre, l’homme de lettres besogneux vide son portefeuille, et place comme il peut, tantôt chez un libraire et tantôt chez un autre, les rognures qui s’en peuvent vendre. Toutes ces traductions, ou réductions, étaient probablement faites, ou du moins préparées, depuis longtemps. Preuve nouvelle de la lente et consciencieuse préparation du chef-d’œuvre ; à laquelle il faut ajouter encore celle-ci que, comme en 1723 Le Sage n’avait rien publié, de même, en 1733, il s’abstint de nouveau toute une année, évidemment pour se donner tout entier à la préparation du dernier volume, qui parut en 1735.

Il faut avouer qu’il trahit la fatigue ; ce qui n’a pas de quoi nous étonner si nous réfléchissons que l’écrivain venait d’entrer dans sa soixante-huitième année. A cet âge, les plus heureux ne réussissent qu’à peine à s’égaler eux-mêmes ; les autres se cherchent, ne se trouvent plus, et réduits à se copier, ils font moins bien ce qu’ils avaient fait autrefois. Les trois derniers livres de Gil Blas peuvent se ramener à deux épisodes essentiels. Le premier, c’est l’histoire de Scipion. Composée fort habilement de fragmens rapportés du Guzman d’Alfarache et de l’Estevanille Gonzalez, ce n’est qu’une version plus espagnole, et par conséquent moins heureuse, du thème dont l’histoire elle-même de Gil Blas est la version française. On ne retombe

  1. On remarquera que, tandis qu’il n’est pas absolument démontré que le Gabriel Triaquero du roman de Gil Blas soit un nom. sous lequel Le Sage s’en prenne à Voltaire, c’est lui-même, Le Sage, qui a fait une note pour nous apprendre qu’il s’agissait, dans cette scène du Temple de Mémoire du poète et du poème de la Ligue.