Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’état ferait construire ; 2° un lot de terres de 4 à 12 hectares, suivant le nombre des membres de la famille ; 3° les semences, des instrumens de culture, des bestiaux et enfin des rations de vivres jusqu’à la mise en valeur des terres[1]. L’appât était considérable et l’affluence des demandes fut énorme. Il y avait nécessité de faire un choix. Dès sa seconde séance, une commission parlementaire nommée à cet effet s’occupait sans relâche, avec un réel dévoûment, de la classification des bénéficiaires et présidait au départ des convois. A défaut des chemins de fer, qui n’allaient pas encore jusqu’à Marseille, ni même jusqu’à Lyon, ils prenaient les voies fluviales, et c’était sur la Seine, à Bercy, qu’avaient lieu les embarquemens, non dépourvus de quelque éclat et d’une certaine mise en scène. La sympathie pour les émigrans était générale ; l’enthousiasme pour l’œuvre elle-même ne faisait pas non plus défaut, et, comme d’usage, on se servait pour l’exprimer de la phraséologie déclamatoire qui était à la mode du jour. « On commence à comprendre, disait un article du Courrier français, reproduit par le Moniteur, que l’Algérie est destinée à résoudre le problème social qui, depuis le 24 février, agite la France… L’Algérie n’est plus aujourd’hui une question politique, elle est devenue une question sociale… Terre de perdition sous la monarchie, c’est une terre promise sous la république… Les citoyens qui vont s’y rendre n’auront pour ainsi dire qu’à la frapper du pied pour en faire sortir les moissons, les herbes potagères et les arbres à récolte, vignes, oliviers et mûriers, etc….[2]. » Avant la fin de l’année, quinze convois de colons quittèrent ainsi successivement la capitale, emportant les vœux d’une population émue, et fortifiés, au moment des derniers adieux, par les discours pleins de promesses d’hommes considérables et dignes de foi qui leur annonçaient en toute sincérité une ère de bonheur et de prospérité. Les représentans de l’assemblée nationale n’avaient pas été les seuls à encourager, à l’heure du départ, par de chaudes et cordiales paroles, ceux qui allaient quitter le sol natal. Ce qui étonnera peut-être quelques-uns des républicains de nos jours, ils avaient tenu à se faire seconder, dans cette tâche patriotique, par les dignitaires les plus éminens du clergé de Paris. Après les discours tout politiques de M. Trélat, président de la commission parlementaire, venaient les harangues toutes chrétiennes de Mgr l’archevêque de Paris ou de quelques-uns de ses grands vicaires. A MM. Recurt et Henri Didier succédaient comme orateurs Mgr Sibour, l’abbé Buquet, M. le grand-vicaire de La Bouillerie, et les accens de ces ecclésiastiques ne semblaient

  1. Moniteur de 1848, page 2616.
  2. Moniteur de 1848, page 2744.