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pas pénétrer moins avant dans l’âme des auditeurs. La forme était différente ; la confiance, et, pour quelques-uns, il faudrait dire la foi dans le succès, étaient égales de part et d’autre. Au départ du quinzième et dernier convoi, organisé et commandé par un ancien officier de l’armée d’Afrique, après quelques paroles patriotiques prononcées par M. Trélat, au moment où il remettait, comme d’habitude, aux émigrans le drapeau aux trois couleurs, ce fut le tour du curé de Saint-Ambroise de s’adresser à eux. « Dieu, s’écria-t-il, bénira votre voyage, car vous vous dirigez vers sa terre. Toute la terre est à Dieu sans doute ; mais, de même que la terre promise était son bien, ainsi l’Algérie, qui offre tant de rapports avec la Palestine, est le bien de Dieu de préférence à toute autre région. Comme les Français qui s’embarquèrent avec saint Louis, écriez-vous : « Diex volt ! (Dieu le veut ! ), nous marchons forts de son secours. Nous faisons voile de par Dieu ; nous arriverons à bon port. » Cependant les colons poussaient des acclamations de joie, la foule enthousiaste saluait de ses applaudissemens le bateau prêt à s’éloigner, et le Moniteur, en reproduisant la scène, regrette, comme à son ordinaire, que la population tout entière de Paris n’ait pas pu être témoin d’un si magnifique spectacle[1].

Il est curieux de suivre pas à pas les phases diverses de ce grand exode de 1848, dont les débuts commençaient sous de si heureux auspices. Les premiers convois furent dirigés du côté d’Oran, parce que les études pour l’établissement des colons y avaient été depuis longtemps achevées ; mais les treize mille cinq cents émigrans furent répartis dans une égale proportion entre les trois provinces[2]. Ils rencontrèrent partout un bon accueil. Dans quelques localités, les habitans du pays avaient d’avance ouvert des souscriptions pour leur venir en aide. Les Arabes même avaient paru s’intéresser à leur sort. Les commandans militaires montrèrent beaucoup d’empressement à leur épargner les embarras du premier établissement. Ils témoignaient en leur faveur. « Rien de plus satisfaisant, écrivait le général Saint-Arnaud au 25 novembre 1848, que le spectacle des nouveaux villages. La tenue des colons, leur excellent esprit, leur courage justifient tous les éloges, et permettent toutes les espérances[3]. » Toutefois les impressions deviennent graduellement moins bonnes sur leur compte et le désenchantement commence à se faire jour parmi eux. Aux premiers mois de 1849, ils ne désespèrent pas encore, mais la confiance dans l’avenir a beaucoup diminué. « Les santés sont toujours bonnes, écrit avec prévoyance un correspondant de Constantine ; mais bientôt les grands travaux de la

  1. Moniteur de 1848, page 3409.
  2. Moniteur du 12 octobre 1848.
  3. Moniteur de 1848, page 3470.