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Casimir Perier, ministre de l’intérieur. (Deux décrets du 16 et du 28 octobre réglaient, en même temps, le mode de distribution des terres à allouer aux colons. Le titre premier disposait que le colon qui justifierait de la possession d’un certain capital devrait s’engager à le dépenser pour la mise en valeur de sa concession, mais qu’il n’en deviendrait propriétaire définitif qu’après avoir fourni la preuve des dépenses effectuées. Il n’est pas besoin de dire que peu d’Alsaciens-Lorrains (une trentaine à peu près) étaient en état de remplir ces conditions, tandis que celles du titre n s’appliquaient au plus grand nombre. Le titre il apportait une notable innovation (fut-elle très heureuse ? ) au système précédemment suivi. La concession était transformée en un simple bail d’une durée de neuf et, plus tard, en 1874, de cinq années, après lesquelles, les conditions de résidence et de mise en culture étant remplies, le colon devenait propriétaire définitif. Il résultait de cette combinaison une aggravation des anciennes clauses résolutoires ; elle plaçait le concessionnaire dans la situation fort précaire d’un fermier qui, courant le risque d’être définitivement évincé, se trouvait dans l’impossibilité de contracter le moindre emprunt sur des terres qu’il ne lui était pas loisible de donner en gage.

La contenance des lots alloués aux Alsaciens-Lorrains était un peu plus considérable que pour les émigrans de 1848 ; le décret portait, en effet, « qu’il leur serait donné de 3 à 10 hectares par tête, les enfans et les domestiques comptant comme unités. » Cela même n’était pas encore suffisant. Le souvenir des difficultés contre lesquelles on s’était jadis heurté et des échecs qu’elles avaient amenés était déjà complètement oublié, et l’on retomba à peu près dans les mêmes erreurs que par le passé. Le triage opéré sur place par les comités de Nancy et de Belfort entre les demandeurs de concessions ne fut pas toujours très heureux. Sur la simple annonce des terres mises à leur disposition, beaucoup d’individus originaires des provinces annexées étaient accourus en Algérie dépourvus de toutes ressources et nullement préparés par leurs professions antérieures à l’existence pénible qui les attendait sous un climat si différent du leur. A plusieurs points de vue, le nouvel élément de colonisation que les désastres de 1870 amenaient en Algérie, tout en laissant encore à désirer, valait mieux que celui qu’y avait déversé la révolution de février. Ces nouveaux arrivans avaient d’ailleurs sur les colons d’autre provenance ce triste avantage que, chassés sans retour possible du sol natal, ils étaient moins enclins à se laisser décourager par les épreuves du premier début et prêts à s’imposer les plus rudes privations, afin de se refaire, en terre demeurée française, la patrie qu’ils avaient cruellement perdue. Cette fois encore les cultivateurs se trouvaient être de