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l’école empirique, l’expérience seule pourrait décider en dernier ressort, et où, par le fait, l’expérience ne peut rien décider, puisqu’il lui est impossible d’y atteindre. Qu’il nous suffise de signaler en passant ces libres spéculations sans nous y arrêter. Il vaut mieux restreindre le terrain de la discussion à ce qui est plus directement observable, à ce qui relève de l’expérience individuelle et actuelle.

Prenons pour exemple les lois de la formation du caractère, qui est un des points de la psychologie où s’est porté le plus vivement l’effort des controverses actuelles[1].

A quoi se bornent les théoriciens de l’hérédité absolue dans l’explication qu’ils en donnent ? — Ils nous accordent que c’est le caractère qui constitue la marque propre de l’individu au sens psychologique et le différencie de tous les individus de son espèce. Ils nous accordent aussi que, dans les conflits de la vie morale, la raison dernière du choix est le caractère. Mais ils prétendent que, bien qu’il agisse en tant que cause, il n’est lui-même qu’un effet : c’est une simple résultante d’élémens où l’on chercherait en vain, à l’origine, quelque chose comme une libre énergie, comme la capacité d’un simple effort créant une initiative. Le caractère, selon eux, est un produit très complexe dont l’hérédité est la base, avec des circonstances physiologiques qui s’y joignent, mêlées à quelques influences d’éducation. Ce qui le constitue, ce sont bien plutôt des états affectifs, une manière propre de sentir qu’une activité intellectuelle et surtout volontaire. C’est cette manière générale de sentir, ce ton permanent de l’organisme qui est le premier et le véritable moteur de la personnalité. Or, comme ces élémens sont héréditaires, il n’est pas douteux que les caractères qui en résultent ne soient héréditaires eux-mêmes. Ce qui en explique l’infinie diversité, c’est la variété des associations qui peuvent se faire entre ces divers élémens affectifs et vitaux. Cette multiplicité de combinaisons possibles nous dispense d’avoir recours à quelque unité mystérieuse et transcendante. D’ailleurs, par une concession qui ressemble beaucoup à une ironie, on laisse aux métaphysiciens la liberté de rêver au-delà et d’admettre, s’il leur plaît, avec Kant, un caractère intelligible qui explique le caractère empirique[2]. Mais on refuse de les suivre jusque-là et même on se soucie peu de comprendre ce que cela veut dire.

Ces explications sont-elles suffisantes ? Je ne le pense pas. Je n’y peux voir, pour mon compte, qu’une série d’assertions sans preuve. Il nous suffira d’opposer à cette théorie du caractère, expliqué

  1. Ribot, l’Hérédité psychologique et les Maladies de la volonté. — Dr Jacoby, la Sélection dans ses rapports avec l’hérédité, etc.
  2. L’Hérédité psychologique, p. 326. — Les Maladies de la volonté, p. 30 et suiv.