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uniquement par l’hérédité, celle qui résulte de l’étude des faits. Nous ne prétendons pas nier la part qui doit être réservée à la faculté de transmission, mais nous essaierons de la restreindre dans ses vraies limites. Croit-on que cette œuvre soit impossible ? Croit-on que l’on ne puisse vraiment pas démêler la double part que prennent l’hérédité et le principe d’individualité dans l’histoire d’un caractère humain, d’après l’observation la plus simple, en dehors de tout système préconçu, de tout parti-pris d’école ?

L’important est de bien distinguer les élémens multiples qui entrent dans la composition du caractère. — Une erreur fréquente est de le confondre avec le tempérament. Ce terme, dans son acception technique, exprime précisément le ton général de l’organisme auquel l’école biologique prétend réduire l’essentiel du caractère, et qui n’en est, selon nous, qu’un élément inférieur et subordonné ; il exprime le résultat de la prédominance d’action d’un organe ou d’un des systèmes qui constituent l’organisme. C’est là à peu près la définition de M. Littré, et tous les vrais écrivains ont d’instinct employé ce mot dans ce sens spécial et restreint. La Rochefoucauld a dit, non sans une certaine insolence d’idée, mais dans une très bonne langue : « La vanité, la honte et surtout le tempérament, font souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes[1]. » De même Mme de Sévigné, quand elle écrit : « Quelle journée ! Quelle amertume ! Quelle séparation ! Vous pleurâtes, ma très chère, et c’est une affaire pour vous ; ce n’est pas la même chose pour moi, c’est mon tempérament[2]. » Le psychologue et naturaliste Bonnet a eu le sentiment très exact de ces nuances : « Chez les animaux, dit-il, le tempérament règle tout ; chez l’homme, la raison règle le tempérament, et le tempérament réglé facilite à son tour l’exercice de la raison. » — Kant, au contraire, est tombé dans une confusion regrettable quand il a classé les caractères en sanguins, nerveux, bilieux et lymphatiques ; il n’a fait ainsi que classer les tempéramens, c’est-à-dire les divers genres de constitution physique, résultant des influences de race et de naissance, des actions diverses et des causes qui ont contribué à former l’organisme. — Comme on l’a dit, le tempérament est la base physique et le mode d’expression du caractère, il n’est pas le caractère même. Croirait-on, par hasard, avoir défini des caractères, si l’on disait d’un homme que, dès le premier mot d’une discussion, le sang lui monte au visage, ou si l’on disait d’une femme qu’elle est nerveuse ? Resterait à savoir, après cela, ce qu’est cet homme, et ce qu’est

  1. Maximes, p. 220.
  2. 11 juin 1677.