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timide million dans une cassette gardée à vue. Harpagon est devenu un spéculateur fastueux, versant les trésors de sa chère cassette à condition qu’ils lui rapportent au centuple, et tirant de gros intérêts de son apparente prodigalité. Rien ne serait plus piquant que de poursuivre les métamorphoses des mêmes personnages dans l’entraînement des idées ou des passions, dans le changement des mœurs, l’action et la réaction des types, qui modifient les milieux où ils se produisent, et des milieux, qui mettent sur des types, identiques au fond, leur empreinte perpétuellement mobile. C’est la comédie humaine, non pas celle de Balzac, qui s’est borné au XIXe siècle, mais celle de tous les temps.

Telle est, à ce qu’il me semble, la loi de composition successive du caractère humain, l’ordre dans lequel se classent les divers élémens dont il est formé jusqu’au moment où l’action personnelle entre en scène. Quelle est la part de l’hérédité dans ces divers élémens ? Elle est très grande en tout ce qui concerne le tempérament. Il n’est guère douteux que la constitution physique ne reproduise d’ordinaire ou celle du père, ou celle de la mère, ou le mélange des deux, et quand on ne peut pas reconstruire la généalogie d’un tempérament, il est vraisemblable que cette variété inattendue s’explique par quelque accident survenu à l’instant de la conception ou dans la vie embryonnaire de l’enfant. — Nous devons mettre à part, en dehors de la question d’hérédité, les influences historiques et sociales qui pénètrent et s’établissent en chacun de nous ou par la coutume et l’opinion régnante, ou par la mode et les mœurs. L’action qui s’exerce ainsi n’est pas une action héréditaire : elle est actuelle, puisque les mœurs et l’opinion changent d’une génération à l’autre ; il en faut chercher l’origine dans l’instinct d’imitation, si puissant sur les jeunes esprits, dans une sorte de contagion morale qui se produit pour les idées et les sentimens, pour la manière de penser, de sentir ou de vouloir à une époque déterminée. — Resterait à examiner, au point de vue de l’hérédité, ce que nous avons nommé le naturel, cette manière d’être morale que chacun apporte en naissant, qu’il manifeste dès que cela lui est possible et par laquelle il s’annonce dans la vie comme un individu distinct de tout autre. Dans cette trame complexe que nous essayons de démêler, les fils si ténus, si délicats, tendent à se confondre dès qu’on ne les retient pas de force, isolés sous le regard de l’analyse. On ne peut nier que l’hérédité physiologique ne pénètre encore ici sur certains points et n’exerce quelque action sur le naturel. Mais dans quelle mesure ? Et quelle part faut-il faire à ces influences ? Elles ne dominent pas comme dans le tempérament, dont elles forment l’essence ; ici, elles rencontrent un élément de diversité, l’élément antagoniste que le docteur Lucas et M. Littré signalent sous le nom d’innéité, et dans lequel M. Bain et