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M. Wundt reconnaissent le facteur personnel. C’est ce principe dont nous avons essayé récemment de démontrer la réalité négligée et méconnue par l’école biologique. Nous avons établi, autant que cela est possible dans ces difficiles matières, que la variété étonnante des natures morales, poussée parfois jusqu’à la contradiction, dans la même famille et sous les mêmes influences héréditaires, entre les enfans et les parens, ou les enfans entre eux, est incompréhensible en dehors de ce principe ; qu’elle est absolument réfractaire aux applications tirées de l’hérédité directe et immédiate, médiate ou indirecte, et que si, à bout d’argumens, on prétend la rattacher sans preuve à des retours inattendus d’atavisme ou à des perturbations normales qui accomplissent encore la loi en ayant l’air de la violer, dès lors on quitte le terrain de l’observation, on se perd dans l’inconnu, où chacun reprend la liberté de raisonner à sa guise et à son aise, c’est-à-dire sans profit pour la science sérieuse. — Donc, au centre de la vie, de l’aveu du docteur Lucas et de M. Littré, de M. Bain et de M. Wundt et de bien d’autres, plus fidèles à la réalité qu’à un système, il y a un primum movens qui échappe au déterminisme, un germe d’individualité qui ne peut être déterminé du dehors, vu qu’il précède toute détermination extérieure, la conditionne et la modifie. On restitue ainsi au caractère sa base première, son essence propre, mêlée profondément à des fatalités physiologiques et à toute sorte d’influences héréditaires, mais déjà assez fortement marquée pour s’en distinguer nettement. Ce n’est là que le caractère originel, qu’il ne faut pas confondre avec le caractère ultérieur et acquis ; mais cette donnée primitive a une grande importance. Dans le cas où rien ne l’entrave, elle devient l’idée directrice, le ressort moteur de notre vie ; elle en contient en germe le plan et les développemens futurs, si une autre cause ne vient pas déranger ce plan et imprimer à la vie une autre direction.

C’est ici qu’apparaît l’action de l’homme. Il peut ou accepter cette manière d’être morale qui lui est donnée, ou la combattre ou enfin, sans la combattre, la transformer. Il dépend de lui de laisser prévaloir sans lutte et sans effort l’ensemble de ces dispositions naturelles, d’y consentir, si je puis dire, ou bien de les modifier. Voilà le dernier élément du caractère humain ; c’est le pouvoir d’agir sur une nature donnée, et de compléter l’individualité en l’élevant jusqu’à son terme supérieur, la personnalité. Au premier degré, la statue humaine était encore engagée profondément dans les élémens naturels qui sont comme sa matière, marbre ou argile. À ce second degré, l’artiste, l’homme lui-même, va dégager peu à peu la statue, imprimer à la matière qui lui est donnée la forme de sa pensée propre, convertir la fatalité en liberté : c’est l’œuvre