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que ce ne soit pas assurément là l’objet que s’est proposé le savant docteur.

D’abord il faut considérer que le caractère étant le produit actuel d’un long développement et d’une action persévérante, on ne doit pas attendre, pour agir efficacement, qu’il soit entièrement façonné par les circonstances et par la vie. Si l’on peut prévenir cette époque de formation complète, cela vaut beaucoup mieux. Mais surtout il faut se persuader qu’on n’agit pas par surprise, à l’improviste et comme par un coup de théâtre, sur son caractère. On ne défait pas si facilement une trame si complexe, si fortement tissue et consolidée ; on ne peut détruire en un instant l’histoire de toute une vie. On a besoin pour cela de temps et de soins ; il y faut employer des procédés ; il faut ruser avec son caractère : c’est quelque chose comme une tactique savante ou une diplomatie qu’il faut conduire avec art, sans précipitation, sans mauvaise humeur ni découragement. Non sans doute, on ne réussirait pas, par un pur effort de volonté instantanée, à penser, à sentir d’une certaine façon ou à toujours agir suivant certaines règles qu’on s’imposerait tout d’un coup. Mais ce que peut tout homme, c’est modifier imperceptiblement son caractère en agissant sur les circonstances qui, à leur tour, agiront sur lui ; il peut, en appelant à son aide certaines circonstances extérieures, apprendre à détourner son esprit d’une série d’idées ou d’un ordre de sentimens dont, par suite, l’activité s’éteindra ; il peut diriger son esprit vers un autre ordre d’idées ou de sentimens qui dès lors reprendront en lui plus de force ; par une constante vigilance sur lui-même et un exercice assidu de la volonté dans une direction voulue, il arrivera ainsi à contracter insensiblement l’habitude des actions, des sentimens et des pensées auxquels il souhaitait s’élever. Il peut ainsi grandir par degrés son caractère jusqu’à l’idéal proposé. — Que se passe-t-il quand nous voulons faire un exercice physique quelconque, d’escrime ou de gymnastique par exemple ? Nous coordonnons, pour l’ajuster à un but spécial, le jeu des muscles distincts en une action complexe. En faisant cela, nous développons en nous le pouvoir d’avoir des volitions qui commandent les mouvemens nécessaires à cette fin. Nous arrivons ainsi, en acquérant ce pouvoir particulier sur nos muscles, à exécuter des actes compliqués dont nous serions, sans cet entraînement préalable, aussi incapables que de voler en l’air. Il faut un entraînement analogue pour acquérir un pouvoir spécial sur nos sentimens et nos pensées, en les associant en vue d’un acte déterminé. M. Maudsley indique avec une singulière compétence les moyens d’atteindre ce grand résultat, le self-development. Sa pensée constante est qu’on ne peut transformer de vive force son caractère en contrariant brusquement toutes ses affinités, en effaçant toute l’œuvre des années de