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sont irrévocablement fixés dans les cadres d’une hiérarchie immobilisée. Telle est la doctrine qui ressort de la Statique sociale, de l’Essai sur le progrès, de toute la Sociologie de M. Spencer. Et, sous des termes techniques, peut-on voir là autre chose qu’une résurrection scientifique des classes formant cette « hiérarchie immobile » qui marque le jour de l’évolution accomplie ? Dès lors, grâce à cette distribution des capacités, des forces et des fonctions sociales, le bien parfait régnera sur la terre : « Le progrès ainsi expliqué n’est point un accident, mais une nécessité. Loin d’être le produit de l’art, la civilisation est une phase de la nature, comme le développement de l’embryon ou l’éclosion d’une fleur. Les modifications que l’humanité a subies et celles qu’elle subit encore résultent de la loi fondamentale de la nature organique, et, pourvu que la race humaine ne périsse point et que la condition des choses reste la même, ces modifications doivent aboutir à la perfection. Il est sûr que ce que nous appelons le mal et l’immoralité doit disparaître ; il est sûr que l’homme doit devenir parfait[1]. » — Il n’importe pas en ce moment de savoir combien de temps doit durer cet équilibre parfait, quel sera le lendemain de ce règne de la perfection sur la terre, et par quel rythme fatal la dissolution doit accomplir son œuvre dans les sociétés d’abord, dans la terre elle-même, dans le monde actuel tout entier. Il nous suffisait de montrer que l’évolution sociale se fera par la prédominance de l’élite scientifique, en vertu de la loi fondamentale « de la hiérarchie coordonnée. » N’est-ce pas proclamer la nécessité de ce qu’un des disciples de cette école appelle « une classe régulatrice, distincte des classes gouvernées, » se formant par un lent et patient travail d’affinage et de perfectionnement, la caste des savans, ouvriers ou plutôt initiateurs de la civilisation, qui doivent concentrer entre leurs mains la fonction sociale par excellence, le pouvoir de faire les lois, c’est-à-dire d’interpréter le vrai droit naturel fondé sur les lois de la vie, d’établir, à tel moment de l’histoire, l’utilité spécifique qui correspond à chacune des phases de l’humanité ?

Cette fonction du savant, tout idéale sans doute chez M. Herbert Spencer, prend chez un de nos plus brillans écrivains une consistance singulière, j’allais dire une réalité effrayante, si je ne me souvenais à temps qu’il ne s’agit que d’un rêve. On n’a pas oublié la sensation que produisit, il y a quelques années, cette hypothèse proposée sur l’avenir du monde et sa transformation par la science. « Le but poursuivi par le monde, nous disait-on, loin d’être l’aplanissement des sommités, comme le voudrait la

  1. Herbert Spencer, Social Staties.