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échéance, dans l’aliénation mentale ou la stérilité. Le talent est presque au même degré, la condamnation d’une famille ; il pèse comme un lourd anathème sur une race. L’intelligence même, quand elle est très cultivée, est un signe fatal. « La noblesse guerrière de Ninive, le clergé savant de Babylone, nous dit-on, la bourgeoisie intelligente de Thèbes aux cent portes, de Memphis, sont mortes et ont disparu complètement de la face de la terre. Le fellah qui cultive le champ de cotonniers n’est pas le descendant dégénéré de quelque gouverneur de Rome, de quelque pontife du lumineux Râ, c’est l’arrière-neveu de quelque batelier du Nil ; et quand la civilisation, dans sa marche de l’est vers l’ouest, aura fait le tour du globe, elle trouvera sur les bords de la Seine, errant dans les ruines de la grande cité, des descendans, non de nobles du faubourg Saint-Germain, non de savans du Collège de France, non de riches banquiers, de bourgeois lettrés, pas même d’ouvriers parisiens, si ingénieux et si intelligens, mais peut-être de charbonniers auvergnats, de gargotiers de banlieue. « Le grand Patrocle n’est plus et le méprisable Thersite vit encore ! » — On se prend à rêver quand on lit des prédictions comme celle-ci : « En cherchant à nous élever au-dessus du niveau commun, nous condamnons par là même à mort notre race, et nous échangeons la vraie immortalité, l’immortalité physiologique, contre l’immortalité de convention qu’on appelle la célébrité ; nous payons de la vie des générations futures et de notre propre existence dans l’infini des siècles quelques lignes dans les dictionnaires biographiques. Ce ne sont pas les descendans des puissans, des riches, des savans, des énergiques, des intelligens qui constitueront l’humanité future, ce sera la postérité des paysans travailleurs, des bourgeois nécessiteux, des humbles et des petits ; l’avenir est aux médiocrités[1]. » Singulière manière de concevoir cette société de l’avenir, triomphante par l’élimination progressive du talent et du génie !

L’auteur étudie particulièrement deux formes de la sélection, celle qui s’opère par le pouvoir et celle qui se fait par le talent, la souveraineté et l’aristocratie, en donnant à ce dernier terme le sens le plus étendu, aristocratie intellectuelle, industrielle, commerciale et nobiliaire. — Et d’abord la souveraineté, qui est évidemment un type de sélection, puisque le pouvoir représente à l’origine une supériorité de caractère ou d’intelligence, se combinant avec l’hérédité par suite de la position exclusive et anormale qu’elle crée à ses représentans et qui restreint singulièrement le choix des unions possibles. L’auteur prend comme sujet de son expérimentation la famille d’Auguste, et, rassemblant avec une

  1. Préface, p. III.