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recommandée ; les sujets les plus vulgaires, — la Mort du cochon, par exemple, — sont accueillis avec faveur ; et l’ignorance de la perspective est de droit commun. Des règles aussi faciles appellent les vocations et font des prosélytes. De là ces scènes de genre couvrant des toiles de cent mètres, ces tableaux où, sous prétexte de plein air et de lumière diffuse, il n’y a plus ni éclat, ni relief ; ces compositions où, sous prétexte de sincérité, on pose les figures sans aucun groupement comme des quilles dans un jardin ; ces peintures où, sous prétexte d’effet juste, on laisse tout à l’état d’ébauche, où, sous prétexte d’air ambiant, on montre des formes flottantes et indécises ; ces échappées de paysage où, de peur d’être considéré comme idéaliste, on arrache les pâquerettes pour planter des pissenlits. Si ces tableaux-là n’étaient que déplaisans, le mal ne serait pas grand ; on est parfaitement libre de ne pas les regarder. Mais leur nombre qui croît chaque année donne de sérieuses inquiétudes. Tout peintre de talent qui passe à la nouvelle école est une force perdue pour l’art.

La sculpture elle-même, la sculpture, où la France l’a disputé à l’Italie pendant la renaissance, et où elle est sans rivale depuis trois siècles, n’apparaît point dans le magnifique épanouissement du dernier Salon. Jamais les beaux marbres, que dominaient le grandiose Quand même ! de Mercié, l’admirable figure tumulaire de Chapu, le groupe héroïque de Lanson, n’avaient été en si grand nombre. Cette année, sans doute, il y a quelques œuvres de premier mérite ; mais, d’une part, la retraite momentanée de MM. Paul Dubois, Chapu, Mercié, Saint-Marceaux, Aimé Millet, d’autre part, certaines défaillances chez le. plus grand nombre des exposans, font que le Salon de sculpture est inférieur à celui de 1882.

Ainsi le même jugement s’impose au Salon de peinture et au Salon de sculpture : il y a peu d’œuvres capitales ; les maîtres ne se surpassent pas et quelques-uns déclinent ; les artistes de la jeune génération s’affaiblissent manifestement. Pour cela, faut-il crier à la décadence ? Il y a des années infécondes, qui ne prouvent pas que la terre soit épuisée ni que la sève soit tarie. Toutefois, si plusieurs Salons de cet ordre se succédaient, on serait bien fondé peut-être à dénoncer l’abaissement de l’art français. Et par l’art français nous entendons l’art moderne, car la France occupera bien longtemps encore, quoi qu’il arrive, le premier rang en art. Alors même que l’école française semble défaillir un peu au Salon des Champs-Elysées, elle triomphe presque sans lutte dans les expositions internationales.