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deux mille cinq cents toiles ; et parmi ces paysages, sept sur dix ont de vrais mérites. C’est donc environ. cinq cents lisières de bois ou bords de rivières qui s’imposeraient à la description critique des malheureux « saloniers ! » En cette occurrence, l’équité commande de ne s’occuper d’aucun paysage puisqu’on ne peut s’occuper de tous. Comment parler des Bords de l’Oise baignant dans la clarté fluide, de M. Mesgrigny, et du Cimetière de la Méditerranée embrasé de soleil, de M. Montenard, et ne rien dire de la Matinée d’été perdue dans les brouillards opalins de l’aube, de M. Porcher, et des Martigues si éblouissantes de lumière, de M. Allègre ? Pourquoi s’arrêter devant la Vallée des Ardoisières, empreinte d’une austère mélancolie, de M. Pelouze, devant la Vue de Carqueiranne, où M. Achille Benouville a mis du style et de l’effet, et passer vite devant l’humide Vallée du Château-Gaillard, de M. Paul Péraire, devant la Campagne d’Athènes, de M. de Gurzon, devant cette Rafale où M. Yon a donné un aspect pathétique à la nature bouleversée ? Est-il juste de citer le Vieux Chemin, de M. Camille Bernier, la Fille du passeur, de M. Adan, la Ferme de Coursimont, de M. Sauzay, l’Étang du Merle, de M. Tancrède Abraham, et de ne point mentionner le Soir, de M. Emile Breton, la Sortie du terrier, de M. Borchart, la Fin de septembre, de M. Nozal, la Floraison des jacinthes à Harlem, de M. Demont, et tant d’autres jolis paysages de tant d’autres paysagistes de talent ? — De l’ensemble agréable de toutes ces toiles il ressort cette idée que le paysage accomplit une évolution, non point dans le faire, qui reste libre et vif, mais dans le choix des sites. On déserte les hautes futaies et les sous-bois ombreux où se plaisaient Théodore Rousseau, Diaz, Decamps, Courbet ; on installe son chevalet sur la lisière des forêts, au bord des rivières ou des étangs, dans les grandes prairies, dans les plaines sans fin. On cherche surtout les effets de lointain, les progressions de la perspective aérienne, la limpidité de l’atmosphère. On met dans le cadre le moins de choses déterminées qu’il est possible. On peint le vide pour obtenir l’impression de l’infini.

Où s’arrête le paysage ? Où commence la marine ? La prairie au bord de la mer de M. Lansyer tient évidemment de ces deux genres. Au reste, le talent de Lansyer suffit à tous les deux. Une marine bien caractérisée, c’est malgré son titre le beau tableau de M. Iwill : la Seine à Rouen par un temps de brouillard. Le fleuve fuit dans la perspective et le soleil levant perce à travers la brume. C’est d’un effet très juste et d’une vive impression ; le brouillard, léger et fluide, a une transparence magique. M. Renouf a peint un Bateau pilote qui va au-devant d’un steamer. La mer est grosse, glauque, sombre, car la nuée d’orage couvre le ciel. La chaloupe montée par quatre