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hommes courbés sur les avirons franchit la lame par bonds. Ce tableau très solidement brossé est trop grand, ce qui est naïf à dire, ou trop petit, ce qui semblera paradoxal. Les personnages et la barque, de grandeur naturelle, sont à l’étroit sur cette nappe d’eau sans horizon. Si les figures étaient réduites des deux tiers ou si la toile était augmentée du double, — ce qui donnerait des dimensions de panorama, — on aurait l’impression de l’immensité terrible de l’Océan, effet que sans doute a cherché le peintre et qu’il n’a pas réussi à rendre.

De natures mortes, de légumes, de fruits, de fleurs, il y a de quoi approvisionner les Halles centrales et le marché de la Madeleine. M. Philippe Rousseau apporte des asperges ; M. Spihler, des turbots et des soles ; M. Tholer, des homards et des tourteaux ; M. Magne, des lièvres et des perdrix ; M. Bergeret, des prunes et des abricots ; M. Conin, des pêches que, ne pouvant faire mieux, on ne se lasse pas de regarder ; M. Benner, des pivoines éclatantes ; M. Cesbron, des bottes de roses ; M. Bidau, des violettes de Parme et des camélias blancs. M. Vollon méprise ces bagatelles ; il nous offre tout simplement le Pot-au-feu : un morceau de bœuf cru posé près d’une marmite de fer. La viande n’est pas appétissante, mais on s’accommoderait volontiers de la marmite, car, la grande réputation de M. Vollon le prouve de reste :


Un chaudron sans défaut vaut seul un long poème.


II. — LA SCULPTURE.

« Femmes, cachez vos larmes, » dit le chœur d’Œdipe à Colone. En écrivant ces mots, Sophocle émettait, sans y songer peut-être, un principe d’esthétique statuaire. Dans l’art sévère de la sculpture, la douleur doit être contenue comme le mouvement doit être mesuré. Les figures ne souffrent ni la déformation des traits du visage ni la contorsion des membres. La véhémence d’un sentiment, qui est par cela même passager, l’emportement d’un geste qui est par cela même instantané et fugitif, ne concordent pas avec le caractère de durée éternelle du marbre et du bronze. Dans le beau groupe des Premières Funérailles, M. Bardas a fidèlement observé cette loi statuaire. Adam et Eve portent dans leurs bras le cadavre d’Abel. Certes leur douleur est bien grande, mais avec quel art le sculpteur a su en faire sentir l’intensité et la profondeur, tout en conservant aux physionomies un caractère de calme et de gravité recueillie ! Pour renfermé qu’il soit dans le cœur, le sentiment n’en est pas moins pathétique. Ce groupe est supérieurement composé. Les deux figures se présentent de face ; le père, marchant à pas lourds et lents, porte