Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ses bras le corps d’Abel ; la mère s’arrête pour baiser au front le cadavre, dont elle soutient la tête. Une peau de bête qui sert de linceul à Abel s’est détachée de son corps et tombe jusque à terre, formant tenon, remplissant le vide entre les deux figures et donnant au groupe une base solide. M. Bardas, qui a accusé le type d’Adam dans la force corporelle, n’a pas craint d’imprimer à sa physionomie quelque chose de farouche. C’est bien ainsi qu’on peut se représenter le premier homme, en se tenant à égale distance de la tradition biblique et des théories naturalistes. L’Eve est aussi bien conçue, encore que la pose des cuisses serrées l’une contre l’autre jusqu’aux genoux soit d’aspect pauvre et frissonnant. Dans la figure d’Abel, on ne saurait trop louer cet affaissement d’un effet si pathétique et de lignes si harmonieuses, ces formes élégantes et pures comme celles d’un éphèbe grec. L’exécution, toujours ferme et savante, paraît tour à tour énergique et délicate selon qu’on regarde une figure ou une autre. Les Premières Funérailles classent M. Barrias dans les premiers rangs des sculpteurs contemporains.

La statue de M. Guillaume, cette femme demi-nue assise au sommet d’un rocher, le bras gauche appuyé sur une urne symbolique, la main droite tenant une lyre faite d’une écaille de tortue et de cornes de bélier est-elle la Fontaine Hippocrène ou la Fontaine Castalie, la Nymphe de la Béotie ou celle de la Phocide ? Sommes-nous sur l’Hélicon ou sur le Parnasse ? M. Guillaume, qui s’entend bien en mythologie, comme il s’entend bien en art et en beaucoup d’autres choses, dit que c’est Castalie. Saluons donc la naïade divine dont les ondes inspirent les poètes et purifient les criminels. Si l’éminent sculpteur avait fait sortir du marbre une charbonnière ou une marchande des quatre saisons, les chercheurs de « modernisme, » comme ils disent, auraient été plus satisfaits. Quoi qu’ils en pensent, une muse ou une nymphe reste un sujet toujours digne du ciseau du statuaire. L’élégance du galbe et la noblesse naturelle de l’attitude caractérisent la statue de Castalie. Toutefois, si l’on retrouve dans ce marbre le faire précis et savant et le style élevé de M. Guillaume, on n’y retrouve pas le caractère profond que l’auteur des Gracques et du Mariage romain excelle à donner à l’ensemble des figures, à marquer sur les physionomies. Il semble que M. Guillaume est plutôt un historien qu’un poète.

L’envoi au Salon de M. Dalou est considérable : deux très grands hauts-reliefs qui attirent le regard par leurs dimensions et le retiennent par leurs qualités sérieuses et originales. L’une de ces œuvres représente la célèbre séance des états-généraux du 23 juin 1789. Ce haut-relief est composé, ordonné, on pourrait dire exécuté comme un tableau, avec trois plans bien distincts, une perspective nettement