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physionomies et l’excellent travail de l’ébauchoir, et la charmante Pierrette, de M. Maurice de Gheest, qui a la grâce piquante d’un Watteau ; parmi les bustes-portraits, celui de M. Patin, par M. Guillaume, celui de Mme de B… par M. Allouard, celui de M. Eugène Labiche, par Mlle Thomas, celui de M. Albéric Second, par Mlle de Montégut, enfin ceux de M. et Mme B. W. ., par M. Soldi. Un mot encore sur quelques petits ouvrage : l’étrange bas-relief pseudo-égyptien de M. Devillez, représentant Salomé, la belle médaille de la Ligue des patriotes, par M. H. Dubois, et le curieux médaillon de femme que M. Louis Ménard, le savant helléniste, a conçu et exécuté dans le style grec archaïque.

Jusqu’ici on avait toujours pensé que le but suprême du grand art de la statuaire est l’expression du beau. Il paraît qu’on pensait mal, car le véritable objet de la sculpture, c’est d’exprimer le laid. Tel est du moins le sentiment de M. Marioton, auteur d’un Diogène ascétique, de M. Etcheto, auteur d’un Démocrite ivre mort, de M. Turcan, auteur d’un groupe représentant l’Aveugle et le Paralytique, de M. Gustave Michel, auteur d’un second Aveugle et Paralytique, de M. Carlier, auteur d’un troisième et dernier Aveugle et Paralytique, enfin de M. Baffier, auteur d’un Marat demi-nu. Dans ce concours de la laideur, le prix est emporté de haute lutte par cette hideuse figure. Que notre conseil municipal ait l’idée d’ériger une statue à « l’Ami du peuple » sur l’emplacement des Tuileries brûlées et qu’un sculpteur quelconque accepte cette commande, rien de plus naturel. Mais qu’un artiste de talent (M. Baffier en a beaucoup) s’avise de son propre mouvement de sculpter ce triste personnage, plus abominable encore au physique qu’au moral, il y a de quoi confondre l’entendement. C’est comme si un journal d’Athènes nous apprenait soudain qu’on a découvert une statue de Thersite à Olympie ! Mais la supposition est inadmissible, les fouilles de la vallée de l’Alphée ne sauraient nous réserver pareille surprise. La sculpture grecque n’a point créé en quatre siècles autant de modèles de laideur que la sculpture française en cette seule année 1883. On objectera que l’idéal moderne n’est pas l’idéal antique. Tant pis pour l’idéal moderne ! Ainsi que l’a très bien dit Victor de Laprade, ce chrétien qui dans les questions d’art se rencontre avec un païen comme Théophile Gautier, « l’art moderne, et il faut entendre par là l’art du moyen âge et le nôtre, n’a pas fait autre chose que d’ajouter quelques rides à la beauté sereine et calme, à l’adorable jeunesse des types grecs. » — Il n’y a vraiment pas là de quoi être si glorieux.


HENRY HOUSSAYE.