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constitué, le plus précoce, certainement le plus fertile. Il faut, il est vrai, une installation pour le produire et aussi de l’expérience pour faire sortir d’un fragment de bois et d’un bourgeon fragile une longue racine et une pousse vigoureuse. Quelques jours, quelques heures décident du succès ; un châssis ouvert intempestivement, quelques gouttes d’eau de plus ou de moins, peuvent anéantir le fruit de plusieurs semaines de travail, de veilles et d’attention, mais, malgré ces difficultés, ce genre de multiplication aura son heure et le one eyed cutting sera demandé et coté sur le marché, autant comme produit direct que comme porte-greffe ; enfin, comme racine greffé, il donnera des plants merveilleux à tous les points de vue ; mais il ne sera produit couramment à bas prix que par ceux qui auront acheté, chèrement et longuement, une théorie solide et la plus minutieuse des pratiques. N’étaient ces difficultés, il y a beau temps que la bouture à un œil aurait remplacé l’illogique bouture à plusieurs yeux, car elle est connue et pratiquée depuis 1817 en France et surtout en Angleterre, et ce sont ses difficultés qui l’ont jusqu’ici confinée aux serres à raisins de table.

Ce n’est pas à Paris que d’habitude on cherche des enseignemens viticoles ; pourtant, c’est au coin du Cours-la-Reine et de l’avenue qui relie le pont de la Concorde au Palais de l’Industrie que je prie mes lecteurs d’examiner un marronnier qui démontre, mieux qu’aucune explication ne pourrait le faire, comment agit la force expansive du tissu générateur qui soude ou affranchit les greffons. Ce marronnier est un vétéran solitaire du siège de Paris. Son aspect est bizarre, car il porte quatre excroissances que l’on serait tenté d’appeler branches si elles n’étaient privées d’axe terminal et si leurs deux extrémités ne rentraient dans le tronc après s’en être écartées sur une certaine longueur. Cet état singulier est dû aux lésions profondes que la dent affamée de chevaux jeûnant au piquet ou une serpette trop sévèrement réparatrice ont infligées à cet égaré des forêts indiennes. Les nouvelles couches de bois ne pouvant s’étendre sur une surface minéralisée par le coaltar, ont suivi les quelques vestiges de cambium qui existaient encore et ont formé des bourrelets longitudinaux à peu près cylindriques, forme obligée, car les nouveaux tissus engendrés par le cambium, ne pouvant s’étendre en largeur, se sont enflés en avant des lignes qui leur ont servi de point de départ. Le marronnier du Cours-la-Reine rend sensibles les phénomènes de la soudure et de l’affranchissement, car les lésions qu’il a subies ont créé à la descente des sucs nourriciers vers la racine un obstacle pareil à celui qu’aurait créé une greffe à juxtaposition imparfaite. Cette descente s’est produite quand même, mais avec une déviation telle que les bourrelets se sont isolés du tronc en se