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que Sainte-Beuve, il y a déjà bien des années, avait, le premier, remis ou voulu remettre en lumière ; c’est ce Rivarol à qui M. de Lescure vient de consacrer tout un gros livre, et des plus intéressans ; et c’est ce Rivarol qui, bien au contraire de ce que l’on eût pu croire, suffit, en vérité, lui seul, ou presque seul, à remplir ce large cadre, et n’en est nullement écrasé.

Les origines de Rivarol, comme aussi bien celles de beaucoup d’hommes de lettres de la fin du XVIIIe siècle, sont assez obscures. On n’a su pendant longtemps ni si son père était aubergiste ou gentilhomme, ni si lui-même était né en 1753, ou en 1754, ou en 1757, ni s’il fit ses premières études à Cavaillon ou à Bagnols. Il semble bien que M. de Lescure ait raison de le faire naître le 26 juin 1753 ; les deux autres points ne paraissent pas encore suffisamment éclaircis. Ce ne sont pas là détails d’une grande importance. Il est plus intéressant d’apprendre par le témoignage de l’un de ses biographes qui, s’il devint plus tard de ses ennemis, avait commencé par être des amis de sa jeunesse, Cubières-Palmaizeaux, qu’aux environs de dix-huit ou vingt ans, « Rivarol avait la plus belle figure, la plus belle taille et la démarche la plus noble ; » et que les dames d’Avignon, où il était alors au séminaire, a suivaient des yeux en soupirant le bel abbé de Sainte-Garde, ou même l’accompagnaient jusqu’aux portes de son austère demeure. » L’observation de Cubières, en d’autres temps, et d’un autre homme que Rivarol, ne prouverait peut-être que l’indiscrétion et la futilité du biographe. On verra tout à l’heure qu’elle a son prix ici, et qu’elle importe, si je puis ainsi dire, à la composition du personnage.

Nous pouvons déjà supposer, sans trop d’irrévérence, avec M. de Lescure, que les succès du séminariste auprès des belles dames d’Avignon ne contribuèrent pas médiocrement à le détourner de l’état ecclésiastique. En quittant le séminaire, il garda le petit collet, mais il crut de voir changer de nom. La précaution n’était pas inutile pour traverser, sans y trop laisser de l’honorabilité des Rivarol, tout ce qu’il paraît bien avoir traversé de métiers. N’appuyons pas. En général, il ne faut pas vouloir fouiller trop avant l’histoire des années d’apprentissage et de voyage de ces jolis messieurs de la fin du XVIIIe siècle. Comme toutes les ambitions leur sont permises et qu’ils n’ont en main les moyens d’en réaliser aucune, ou presque aucune, manquant de famille, manquant d’argent, manquant de protections, il n’est pas étonnant, et il est trop certain qu’ils manquent de scrupules. Lisez Gil Blas, lisez Manon Lescaut, lisez les Mémoires de Marmontel, lisez aussi les Confessions de Rousseau, si vous voulez vous rendre compte comme on arrive alors. C’est ordinairement une femme, u une femme de qualité » quelquefois, qui les tire d’affaire et leur fait un premier fonds de bourse pour se répandre dans Paris, — Paris, où, comme dit Rivarol, a la Providence est plus grande qu’ailleurs, » et où l’on trouve