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serait-on plus avancé ? Est-ce que ce sont les minorités qui ont gouverné la France depuis quelques années, qui, de faute en faute, ont conduit les affaires du pays à cette extrémité où tout est embarras et péril ? Est-ce l’opposition qui a mis le désordre dans les finances, le déficit dans le budget, la confusion dans toutes les entreprises d’utilité nationale ? Est-ce l’opposition qui a troublé les consciences ou qui, sous prétexte de réforme, travaille en ce moment même avec une si édifiante persévérance à tout désorganiser, et la magistrature et l’armée ? Est-ce l’opposition enfin qui, depuis quelques années, a exposé le crédit extérieur et la dignité de la France par une politique décousue, qui nous a attiré le mécompte de l’Egypte, qui nous vaut aujourd’hui même cette cruelle surprise du Tonkin ? — Vous voulez supprimer les oppositions qui vous gênent, vous ne supportez pas même les dissidences : commencez donc par éviter de leur donner raison par tout un ensemble d’actes qui sont votre œuvre, qui chaque jour mettent manifestement en danger les intérêts moraux et matériels de la France ; commencez par offrir au pays une politique moins troublée, mieux inspirée, et surtout par épargner au sentiment national l’humiliation des affaires mal conduites, l’amertume des incidens pénibles comme celui qui vient de se passer aux extrémités du monde, qui a coûté la vie à de vaillans soldats.

Ce n’est point, en effet, sans un frémissement douloureux qu’ont été reçues, il n’y a que peu de jours, ces tristes nouvelles du Tonkin bien faites pour émouvoir l’opinion. Elles sont tombées brusquement parmi nous, ces malheureuses nouvelles, au moment même où le sénat en était encore à discuter, après la chambre des députés, les crédits demandés par le gouvernement pour une expédition dans ces régions lointaines. On a appris tout à coup que, sur les bords du fleuve Rouge, à Hanoï, une poignée d’hommes conduits par des chefs intrépides s’étaient trouvés engagés dans une affaire avec des pirates de ces contrées, des soldats annamites, peut-être des Chinois, — que dans cette rencontre ou dans une embuscade à la suite de l’action, il y avait eu plus de vingt-cinq morts, plus de cinquante blessés. Quelques-uns de nos officiers sont tombés victimes de leur dévouement, comme ils tombent toujours, à la tête de leurs hommes, et, parmi eux, le capitaine de vaisseau Henri Rivière.

Voilà déjà bien des victimes héroïques frappées au Tonkin depuis le jeune lieutenant Francis Garnier, le vaillant explorateur qui est mort en ouvrant la voie à notre influence, à nos armes. il n’y a que peu de temps, un lieutenant-colonel d’infanterie de marine était aussi frappé dans une action énergique. Aujourd’hui ce sont d’autres officiers qui ont succombé dans la dernière affaire, et de ces héros morts au loin pour la France, le plus brillant, le plus connu est certes ce capitaine