Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Henri Rivière, qui alliait si bien le talent de l’écrivain, du romancier, à l’énergie du soldat, qui laisse parmi nous les souvenirs d’un collaborateur et d’un ami. C’était un homme d’une vive et aimable originalité, qui avait autant d’esprit que de courage, autant de bonne humeur que de résolution et de calme dans le danger. Il se partageait sans effort entre ses devoirs de marin et ses succès d’écrivain, entre les courses à travers les mers et les plaisirs de la vie de Paris, — toujours heureux de venir se retremper dans ce monde parisien qu’il aimait, toujours prêt à repartir au premier ordre. Il avait eu, il y a quelques années déjà, une mission difficile à la Nouvelle-Calédonie ; il l’avait remplie avec une libre et ferme rondeur. Depuis quelque temps il avait été envoyé en sentinelle dans ce poste avancé d’Hanoï, et, quoique atteint, dans ces derniers mois, d’un mal qui l’éprouvait cruellement, qui n’altérait pas la sérénité de son esprit, mais qui pouvait diminuer ses forces, il a fait son devoir jusqu’au bout. Il n’était pas homme à se laisser insulter dans ce réduit d’une citadelle lointaine où il tenait de sa main vaillante la bannière de la France. S’il est sorti il y a quelques jours de ses retranchemens pour marcher sur les bandes qui le pressaient, c’est qu’il l’a certainement cru nécessaire pour sauvegarder la sûreté du poste qui lui avait été confié, pour laisser à la mère patrie le temps de le secourir. Il est mort simplement, noblement au milieu de ses hommes obligés de se replier, dans cette échauffourée héroïque dont le retentissement a été aussi soudain que profond en France. S’il y avait eu jusque-là des dissentimens sur l’opportunité de l’expédition du Tonkin, il ne pouvait plus y en avoir après la malheureuse affaire d’Hanoï, et l’opinion elle-même, quoique peu portée aux entreprises lointaines, s’est sentie vivement émue. Le sang de nos soldats avait coulé, le drapeau était engagé ! Aussi, le vote du sénat et de la chambre des députés a-t-il été unanime, attestant heureusement qu’il y a encore des circonstances où cette opposition que M. le ministre de l’intérieur veut supprimer ne refuse pas au gouvernement de la république les moyens de sauvegarder la dignité et les intérêts de la France. Soit ! tel qu’il est cependant, cet épisode d’Hanoï a sa moralité, et il ne faut pas oublier que si ces braves gens, leur commandant en tête, sont morts là-bas obscurément, ils ont été peut-être après tout les victimes d’une politique qui n’a su ni se décider ni agir à propos.

Il faut se garder des récriminations vaines sans doute. Il n’est pas moins certain que si, depuis quelque temps particulièrement, notre situation au Tonkin est devenue, selon le mot de M. le ministre des affaires étrangères, « précaire, embarrassée, sinon menacée, » c’est la faute de quelqu’un, de ceux qui auraient dû y veiller de plus près, — non apparemment de ceux qui meurent héroïquement au poste où ils ont été placés. Depuis six mois au moins, Henri Rivière malade, mais