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des sceaux le droit de révocation sur un avis « non motivé » du conseil supérieur. De telle façon que l’arbitraire est partout, — avoué sans détour dans la dictature de trois mois donnée au gouvernement, à peine déguisé dans la constitution du tribunal disciplinaire aussi bien que dans l’appréciation des fautes réservées. Et l’on ne s’aperçoit pas que le dernier mot de ce système qui, à défaut d’autre mérite, a certainement celui de l’originalité, est la déconsidération de la justice, la ruine de la magistrature, l’abaissement de la cour de cassation elle-même, transformée en instrument politique. C’est là ce qu’ont démontré avec une pressante et décisive énergie de parole, et un ancien ministre, M. Goblet, et M. Bibot, dont les discours n’ont été, après tout, que la traduction de ce mot de Montesquieu, disant que « la pire des tyrannies est celle qui se cache sous un semblant de légalité et sous une couleur de justice. »

Voilà où conduit l’esprit de parti, s’abattant en quelque sorte sur un pays, se servant et abusant de tout dans un intérêt de domination. En vérité, les républicains d’aujourd’hui, depuis qu’ils sont au pouvoir, ont déjà eu le temps de donner de singuliers exemples et de créer d’étranges précédens. Ils n’ont pas tout inventé, nous en convenons. Ils ont pris sans façon et ils prennent chaque jour à d’autres régimes tout ce qu’ils ont pu découvrir de procédés discrétionnaires, mais ils ont sûrement ajouté aux vieux trésors de l’arbitraire. Ils ont raffiné la tradition, ils ont imaginé des perfectionnemens, sans se demander si, un jour ou l’autre, ces armes qu’ils remettaient à neuf ou qu’ils forgeaient ne pourraient pas être tournées contre eux. Car enfin nous sommes tous mortels, — ou presque tous, — comme disait autrefois un prédicateur de cour. La république est apparemment mortelle, elle aussi, comme les autres, comme les rois. Les républicains ne remarquent pas que le jour où ils perdraient le pouvoir, ils laisseraient à ceux qui seraient tentés de s’en servir une riche collection d’expédiens et de procédés, depuis les invalidations en masse par un coup de majorité jusqu’à l’asservissement des juges, depuis les expulsions pour raison d’état, par voie de police, jusqu’à la suppression des traitemens par le bon plaisir administratif ; les républicains d’aujourd’hui en sont même venus à ce point d’aveuglement qu’ils ne se rendent aucun compte de ce qu’il y a d’exorbitant dans leurs actes. Et quand, après tous ces abus de domination, M. le ministre de l’intérieur, dans ses voyages de propagande, convie les oppositions sincères à rendre les armes, à cesser le combat, que veut-il dire ? Est-ce par la politique régnante qu’il pense désarmer les oppositions ? Est-ce à la république telle qu’on la fait qu’il prétend les rallier ? M. Waldeck-Rousseau invoque la nécessité de la pacification pour le bien de la patrie, de la grandeur nationale : est-ce en inquiétant toutes les croyances, en