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sans lequel le tsar n’est pas vraiment le tsar aux yeux du peuple russe, et jusqu’au dernier moment, à Moscou comme à Pétersbourg, parmi les Russes comme parmi les étrangers, l’émotion parait avoir été des plus vives. On s’attendait toujours à de l’imprévu. Les répressions poursuivies depuis quelque temps ont-elles eu pour effet de disperser ou de décourager les organisateurs de complots ? Les nihilistes se sont-ils sentis pour le moment impuissans et hors d’état de réaliser les menaces sinistres dont les révolutionnaires de tous les pays n’avaient pas manqué de se faire l’écho jusqu’à la dernière heure ? La police avait-elle bien pris ses précautions ? Toujours est-il que rien de ce qu’on redoutait n’est arrivé, que, dès le commencement des fêtes, tous les fantômes semblent s’être évanouis. L’empereur a fait une entrée triomphale à Moscou, escorté de son armée, entouré des masses populaires accourues sur son passage. Pendant plusieurs jours, les cérémonies se sont succédé avec une pompe et un éclat rehaussés par la variété des costumes et des uniformes, par la présence des représentans étrangers aussi bien que des délégués des provinces les plus reculées de l’empire. Tous les rites du sacre, car ce sont de véritables rites, se sont accomplis ; et, une fois de plus, en plein Kremlin, dans la cathédrale historique de l’Assomption, un tsar a reçu la double consécration de son double pouvoir d’autocrate de toutes les Russies et de chef de la religion grecque orthodoxe. La ville de Moscou s’est illuminée, le peuple russe a acclamé son souverain. Tout s’est passé aussi heureusement que possible, et si au début des fêtes il y avait des craintes, il y a eu aussi à la fin un sensible soulagement qui s’est traduit jusque dans cette dernière dépêche : « La cérémonie du sacre s’est terminée sans incident. » A partir de ce moment, Alexandre III est entré en pleine possession de la majesté impériale, saluée par les acclamations populaires en même temps que revêtue de la sanction religieuse. Chose extraordinaire cependant qu’on doive considérer comme une victoire qu’une telle puissance ait pu échapper pendant ces jours de fêtes aux coups de quelques fanatiques obscurs !

Que sera maintenant ce règne ? Il est certain qu’après avoir été inauguré il y a deux ans d’une façon si tragique, il s’est débattu depuis dans d’étranges difficultés, et ces difficultés n’ont pas été vraisemblablement sans influence sur les manifestes qui ont accompagné le couronnement. Au demeurant, ces manifestes n’ont pas une signification bien décisive. Dans un rescrit qu’il a adressé à son ministre des affaires étrangères, M. de Giers, et qui en réalité est à l’adresse de l’Europe, Alexandre III s’est borné à des paroles de paix, au désaveu de toute pensée de conquête au nom de la Russie. D’un autre côté, dans les affaires intérieures de l’empire, le jeune tsar s’en est tenu à des