Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/773

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
767
PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

aux champs ? Je ne le crois pas. Sans doute Horace se plaisait aussi à la campagne ; il aime les champs et il a su les peindre ; la nature, décrite avec discrétion, tient une grande place dans sa poésie. Il s’en sert, comme Lucrèce, pour donner plus de force et de clarté à l’exposition de ses idées philosophiques. Le renouvellement des saisons lui montre que rien ne dure et qu’il ne faut pas nourrir de trop longues espérances. Les grands chênes, courbés par les vents de l’hiver, les montagnes que frappe la foudre l’aident à prouver que les plus hautes fortunes ne sont pas à l’abri des accidens imprévus. Le retour du printemps « qui frissonne dans les feuilles agitées par le zéphyr » lui sert à rendre courage aux désespérés en leur faisant voir que les mauvais jours ne durent pas. Quand il veut conseiller à quelque esprit chagrin l’oubli des misères de la vie, pour lui faire sa petite morale, il le mène aux champs, près de la source d’une fontaine sacrée, à l’endroit « où le pin et le peuplier mêlent ensemble leur ombre hospitalière. » Ces tableaux sont charmans, et la mémoire de tous les lettrés les a retenus ; ils n’ont pourtant pas la profondeur de ceux que Virgile ou Lucrèce nous présentent. Jamais Horace ne passera pour un de ces grands amans de la nature, dont le bonheur est de se confondre avec elle. Il était pour cela trop spirituel, trop indifférent, trop sage. J’ajoute que, jusqu’à un certain point, sa philosophie même l’en détournait. Il s’est élevé plusieurs fois contre la manie de ces âmes malades qui courent sans fin le monde à la recherche de la paix intérieure. La paix n’est ni dans le repos des champs, ni dans l’agitation des voyages ; on peut a trouver partout quand on a l’esprit calme et le cœur sain. La conclusion légitime de cette morale, c’est que nous portons en nous notre bonheur et que, quand on habite la ville, il nest pas nécessaire de la quitter pour être heureux.

Il lui semblait donc que ces gens, qui prétendaient être des amis passionnés de la campagne et affectaient de dire qu’on ne peut vivre que là, allaient beaucoup trop loin, et il s’est même une fois très finement moqué d’eux. Une de ses plus charmantes épodes, œuvre de sa jeunesse, contient l’éloge le plus vif et peut-être le plus complet qui ait été fait de la vie rustique : « Heureux, nous dit-il, celui qui, loin des affaires comme les hommes d’autrefois, laboure, avec ses propres bœufs, le champ que cultivaient ses pères ! » Une fois lancé, il ne s’arrête plus ; tous les agrémens de la campagne y passent l’un après l’autre. Rien n’y manque, ni la chasse, ni la pêche, ni les semailles, ni la moisson, ni le plaisir de voir paître ses troupeaux ou de dormir sur l’herbe, « tandis que l’eau murmure dans le ruisseau et que les oiseaux se plaignent dans les arbres. » On dirait