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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

tans, familier de Mécène, ami de l’empereur, on ne le regardât pas comme une sorte de personnage. À la vérité, il ne remplissait pas de fonction publique : tout au plus lui laissa-t-on son anneau de chevalier, conquis dans les guerres civiles ; mais il n’était pas nécessaire de porter la prétexte pour avoir de l’autorité. Mécène, qui n’était rien, passait pour le conseiller d’Auguste ; ne pouvait-on pas soupçonner Horace d’être le confident de Mécène ? En le voyant sortir en voiture, s’asseoir au théâtre à côté de lui, tout le monde disait : « Quel homme heureux ! » S’ils causaient tous les deux ensemble, on s’imaginait qu’ils agitaient le sort du monde. En vain Horace affirmait sur l’honneur que Mécène lui avait dit : « Quelle heure est-il ? Il fait bien froid ce matin ! » et autres secrets de cette importance ; on ne voulait pas le croire. Il ne pouvait plus, comme autrefois, se promener dans le forum et le champ de Mars, écouter les charlatans et les diseurs de bonne aventure, interroger les marchands sur le prix de leurs denrées ; il était épié, suivi, abordé à chaque pas par les solliciteurs ou les curieux. Un nouvelliste voulait connaître la situation des armées ; un politique lui demandait des renseignemens sur les projets d’Auguste, et quand il répondait qu’il n’en savait rien, on le félicitait de sa réserve d’homme d’état, on admirait sa discrétion de diplomate. Il rencontrait un intrigant sur la voie Sacrée, qui le priait de le présenter à Mécène ; on lui apportait des placets, on réclamait son appui, on se mettait sous sa protection. Il avait des envieux, qui l’accusaient d’être un égoïste qui voulait garder pour lui seul la faveur dont il jouissait, des ennemis qui rappelaient sa naissance et répétaient partout d’un air de triomphe que ce n’était qu’un fils d’esclave. À la vérité, ce reproche ne le touchait pas, et ce qu’on lui jetait au visage comme une honte, il s’en parait comme d’un titre d’honneur ; mais en attendant, les journées passaient. Il n’était plus maître de lui-même ; il ne pouvait plus vivre à son gré ; sa chère liberté lui était à chaque instant ravie. À quoi lui servait donc de s’être tenu loin des fonctions publiques, s’il en avait tous les ennuis sans en posséder les avantages ? Ces tracas le mettaient hors de lui, Rome lui devenait insupportable, et il cherchait sans doute dans son esprit quelque moyen de fuir les importuns qui l’obsédaient, de retrouver la paix et la liberté qu’il avait perdues.

C’est alors que Mécène lui donna le bien de la Sabine, c’est-à-dire un asile sûr qui le mettait à l’abri des fâcheux et où il allait ne vivre que pour lui-même. Jamais libéralité ne vint plus à propos et ne fut accueillie avec autant de joie. L’opportunité du bienfait explique l’ardeur de la reconnaissance.