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daient des fortunes immenses, mais beaucoup plus assurément qu’il n’avait jamais souhaité ou même rêvé de le devenir. Quelque modéré qu’on soit de sa nature, il est rare qu’on ne se permette pas quelque excès quand on rêve. Ces excès, ces rêves qu’il formait dans sa jeunesse, sans espérer les voir jamais accomplis, Horace nous dit que la réalité les avait dépassés :

Auctius atque
Di melius fecere.

Nous possédons quelques renseignemens qui nous donnent une idée assez précise du bien d’Horace. Il n’avait pas gardé toutes les terres à son compte : les tracas d’une grande exploitation ne pouvaient guère lui convenir. Il en affermait une partie à cinq métayers, des hommes libres, qui avaient chacun leur maison, et s’en allaient toutes les nundines à Varia, soit pour leurs intérêts propres, soit pour les affaires du petit municipe. Cinq métayers supposent un domaine assez considérable ; et il faut ajouter que ce qu’il avait conservé pour lui n’était pas sans quelque importance, puisqu’il fallait huit esclaves pour le cultiver. Je m’imagine donc qu’une grande partie des terres qui m’entourent depuis le haut de la montagne jusqu’à la Licenza, devait être à lui. Ce vaste espace contenait pour ainsi dire des zones différentes, qui se prêtaient à des cultures diverses, qui offraient au propriétaire des températures variées, et par suite des distractions et des plaisirs de plus d’un genre. Au centre, à mi— côte, se trouvait la maison avec ses dépendances. Tout ce que nous savons de la maison, c’est qu’elle était simple, qu’un n’y voyait ni lambris d’or, ni ornemens d’ivoire, ni marbres de l’Hymette et de l’Afri |ue : ce luxe n’était pas à sa place au fond de la Sabine. Près de la maison, il y avait un jardin qui devait contenir de beaux quinconces bien réguliers et des allées droites enfermées dans des haies de charmilles, comme c’était la mode alors. Horace s’est élevé quelque part contre la manie qu’on affectait de son temps de remplacer l’ormeau, qui s’unit à la vigne, par le platane, l’arbre célibataire, comme il l’appelle ; il attaque ceux qui prodiguent chez eux les parterres de violette, les champs de myrte, « vaines richesses de l’odorat. » Était-il resté fidèle à ses principes ? N’avait-il rien donné à l’agrément ? et son jardin ressemblait-il tout à fait à celui de Caton, où l’on ne trouvait que des arbres ou des plantes utiles ? Je n’oserais pas trop l’affirmer. Il lui est arrivé plus d’une fois de ne pas s’appliquer à lui-même les préceptes qu’il donne aux autres, et d’être plus rigoureux dans ses vers que dans sa vie. Au-dessous de la maison et du jardin, les terres étaient fertiles. C’est là que poussaient ces moissons qui, à ce que prétend Horace, ne trompaient