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maladie, où l’on avait craint de le perdre, par l’application de l’eau froide. Aussitôt l’hydrothérapie devint à la mode. On fuyait les sources thermales, autrefois si recherchées, pour s’en aller à Glusium, à Gabies, dans les pays de montagne où se trouvaient des fontaines d’eau glacée. Horace fit comme les autres : pendant l’hiver de l’année 730, au lieu de se diriger du côté de Baïes, comme à l’ordinaire, il tourna la bride de son petit cheval vers Salerne et Velia. Ce fut l’affaire d’une saison. L’année suivante, le gendre et l’héritier de l’empereur, Marcellus, étant tombé très malade, on s’empressa d’appeler Antonius Musa, qui appliqua son remède habituel ; mais le remède ne guérissait plus. L’hydrothérapie, qui avait sauvé Auguste, n’empêcha pas Marcellus de mourir. Elle fut aussitôt abandonnée, et les malades reprirent le chemin de Baies. Quand Horace se mettait en route pour ces voyages extraordinaires, il entendait changer de régime. « Chez moi, disait-il, je m’accommode de tout ; mon petit vin de la Sabine me paraît délicieux ; je me régale avec des légumes de mon jardin assaisonnés d’une tranche de lard. Mais, une fois que j’ai quitté ma maison, je deviens plus difficile, et les fèves, toutes parentes qu’elles sont de Pythagore, ne me suffisent plus. » Aussi, avant de se diriger du côté de Salerne, où il n’allait pas d’ordinaire, prend-il la précaution de demander à l’un de ses amis quelles sont les ressources du pays, si l’on y peut trouver du poisson, des Uèvres, des sangliers, de quoi revenir chez lui gras comme un Phéacien ; il tient surtout à connaître ce qu’on y boit, il lui faut un vin généreux qui le rende beau parleur, « qui lui donne des forces et le rajeunisse auprès de sa jeune maîtresse de Lecanie. » C’est, comme on voit, pousser la précaution fort loin. À Baies, à Préneste, à Salerne, dans ces lieux fréquentés par tout le beau monde de Rome, il n’était pas assez riche pour posséder une maison qui lui appartînt ; il avait ses gîtes ordinaires {deversoria nota), où il allait loger. Ces appartemens d’occasion n’étaient pas toujours commodes. Sénèque, qui était bien plus riche qu’Horace, habitait, quand il était à Baies, au-dessus d’un bain public, et il nous a fait une description très amusante des bruits de tout genre qui troublaient son repos. Horace, qui aimait ses aises, et qui souhaitait être tranquille, ne devait pas faire, dans ces endroits agités, un fort long séjour. Sa fantaisie satisfaite, il revenait au plus vite dans sa paisible maison des champs, et je me figure que ces quelques semaines de fatigue la lui faisaient trouver plus agréable et plus douce.

On s’aperçoit bien, quand on lit avec soin ses œuvres, que son affection pour sa campagne va sans cesse en grandissant. Au début, quand il y avait passé quelques semaines, le souvenir de Rome se réveillait dans sa pensée. — Ces grandes villes, qu’on déteste,