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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.


                                                      Abi
Quo blandæ juvenum te revocant preces


Heureusement, ce n’était pas un mélancolique comme ses amis Tibulle et Virgile. Il avait même sur ce point des opinions très différentes des nôtres. Tandis que nous avons pris l’habitude, depuis Lamartine, de regarder la tristesse comme un des élémens essentiels de la poésie, il croyait, au contraire, que la poésie a le privilège de nous empêcher d’être tristes : « Un homme que protègent les Muses, disait-il, jette aux vents qui les emportent les soucis et les chagrins. » Sa philosophie lui avait appris à ne pas se révolter contre les maux inévitables. « Quelque pénibles qu’ils soient, on les rend plus légers en les supportant. » Il acceptait donc avec résignation la vieillesse, parce qu’on ne peut pas s’y soustraire et qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de vivre longtemps sans vieillir. La mort elle-même ne l’effrayait pas ; il n’était pas de ceux qui s’en accommodent tant bien que mal à la condition de ne s’en occuper jamais. Il conseillait au contraire d’y penser toujours. « Ne comptez pas sur l’avenir. Croyez que le jour qui vous éclaire est le dernier qui vous reste à vivre. Le lendemain aura plus de charme pour vous si vous n’espériez pas le voir.


Omnem crede diem tibi diluxisse supremum ;
Grata superveniet quæ non sperabitur hora. »


Ce ne sont pas là, comme on pourrait le supposer, de ces forfanteries de peureux qui crient devant la mort pour ne pas l’entendre venir. Jamais Horace n’a été plus calme, plus énergique, plus maître de son esprit et de son âme que dans les ouvrages de son âge mûr. Les dernières lignes qui nous restent de lui sont les plus fermes et les plus sereines qu’il ait écrites.

Alors, plus que jamais, la petite vallée sabine devait lui plaire. Quand on visite ces beaux lieux tranquilles, on se dit qu’ils paraissent faits pour abriter la vieillesse d’un sage. Il semble qu’avec d’anciens serviteurs, quelques amis fidèles, une provision de livres bien choisis, le temps doit y passer sans tristesse. Mais je m’arrête : comme Horace ne nous a pas fait de confidences sur ses dernières années et que personne après lui ne nous les a racontées, nous serions réduits, pour en parler, à former quelques conjectures, et il en faut mettre le moins possible dans la vie d’un homme qui a tant aimé la vérité.


Gaston Boissier.