Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étonnement que son frère venait d’être blessé dans un duel par un jeune officier qui passait pour un des favoris du général et auquel celui-ci avait consenti à servir de témoin. Il ne dissimula pas les sentimens d’indignation que lui inspirait la conduite de Jackson dans cette circonstance : ses propos furent rapportés à ce dernier, qui y répondit par de grossières et brutales menaces. Il n’était pas permis de considérer ces menaces comme de simples excès de langage. La violence de Jackson était proverbiale. Ses duels avaient été nombreux, et plusieurs avaient eu un dénoûment tragique. Lorsqu’il était avocat, ou l’avait vu, au milieu d’une audience, déchirer un feuillet d’un recueil de lois pour y écrire un cartel et l’envoyer à un adversaire à la barre même de la cour. Quelques années plus tard, dans un duel au pistolet sur les bords de la rivière Rouge, dans le Kentucky, il avait tué un homme de loi influent et considéré, qu’il accusait de s’être exprimé en termes blessans sur le compte de Mrs Jackson.

Sa querelle avec les frères Benton devait être un des plus déplorables incidens de cette longue série de violences. En passant dans une rue de Nashville, accompagné de son fidèle ami Coffee, il rencontra les deux frères à la porte d’une auberge ; il menaça Thomas de sa cravache, et comme ce dernier faisait mine de se défendre, il tira de sa poche un pistolet : Jesse Benton, qui était lui-même armé, se jeta au-devant de lui, fit feu, le blessa de deux balles à l’épaule gauche et le laissa sans connaissance et couvert de sang sur le pavé de la cour. Tous les médecins, à l’exception d’un seul, encore jeune et sans autorité, déclarèrent l’amputation nécessaire ; Jackson s’y refusa et finit par se rétablir. Toutefois, l’une des balles ne put être extraite ; et il la conserva dans l’épaule pendant vingt ans. Le moindre mouvement brusque lui causa longtemps d’intolérables souffrances, et il lui fut presque toujours impossible, dans le cours de sa carrière militaire, de supporter, sur son épaule gauche, le contact d’une épaulette.

Sa popularité était si grande à cette époque et l’irritation de ses amis fut si vive que les frères Benton durent immédiatement quitter Nashville. Thomas se retira dans l’état de Missouri et y fut élu quelques années plus tard sénateur des États-Unis. Dix ans après, il retrouvait Jackson sur les bancs du sénat, devenait un des partisans les plus fidèles de sa politique et devait s’en faire l’apologiste passionné dans l’important ouvrage qu’il a consacré aux souvenirs des trente ans de sa vie publique[1].

Sur le lit de douleur où le retenait sa blessure, Jackson ne tarda

  1. Thirty yearf view, by a senator of thirty years.