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faculté, il affectait volontiers une colère qu’il ne ressentait pas pour arriver à ses fins, en inspirant à ses adversaires une terreur sans motifs réels. »

Toutefois ni la fermeté de l’attitude du général Jackson, ni les violences plus ou moins calculées de son langage n’avaient suffi à rétablir d’une manière durable la discipline dans son armée. Chaque jour amenait des difficultés nouvelles. Les volontaires ne s’étaient engagés que pour un an, et comme ils étaient entrés au service le 10 décembre 1812, ils annoncèrent l’intention de quitter le camp le 10 décembre 1813. Rien n’était plus contestable que cette prétention ; si les volontaires avaient été à la disposition du gouvernement pendant un an, ils avaient passé la moitié de ce temps dans leurs foyers et n’avaient en réalité donné que six mois de service effectif. Jackson refusa donc, non sans raison, de les considérer comme libérés de leur engagement. Ce n’en était pas moins une étrange et critique situation que celle de ce général contraint de discuter avec ses soldats sur la durée et sur l’étendue de leurs obligations, impuissant à les contraindre au respect de leurs engagemens et condamné tout au moins, en admettant qu’il pût les retenir pour un temps, à suspendre jusqu’à nouvel ordre toute action militaire. Prières, menaces, adjurations solennelles, appel aux sentimens de patriotisme et d’honneur militaire, tout fut inutile. Jackson obtint à grand’peine que les volontaires attendraient pour partir l’arrivée de nouveaux renforts qu’il faisait réclamer en toute hâte par des officiers investis de sa confiance. Mais le recrutement était devenu difficile : il eût fallu du temps et d’énergiques efforts pour lever, équiper, exercer ces nouveaux soldats et les amener à 150 milles de leur pays au milieu d’un territoire occupé par les tribus indiennes. Les officiers chargés de cette tâche délicate réunirent à grand’peine quelques centaines de volontaires mal vêtus, incapables de supporter les fatigues d’une campagne d’hiver, et séparés par quelques mois seulement du terme de leur engagement.

Au mois de décembre, Jackson n’avait à sa disposition que quatorze cents hommes ; huit cents d’entre eux ne devaient plus qu’un mois de service ; les six cents autres appartenaient à la milice et avaient été appelés sous les drapeaux par un acte de la législature pour un temps indéterminé à la nouvelle du massacre du Fort-Mims ; mais comme la durée habituelle du service de la milice était de trois mois seulement, ils entendaient bien rester dans les conditions du droit commun et ils déclaraient qu’ils quitteraient le camp le 4 janvier suivant. Cependant les nouvelles de la guerre devenaient de plus en plus graves. Les Anglais étaient en force dans la Floride devant Pensacola, et menaçaient Mobile et la Nouvelle-Orléans : on craignait qu’ils ne fissent parvenir à leurs alliés des tribus indiennes