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temps, les héros à la mode de Crébillon fils, et professant pour ce monde-là le plus profond dédain, elle avait horreur de toutes les vulgarités. Elle était friande du délicat comme d’autres femmes le sont du succès. Mais pour se montrer ce qu’elle était, il fallait qu’elle se sentît pénétrée comme d’une douce température, celle de l’indulgence. N’était-ce pas aussi une raffinée que celle qui, après avoir entendu lire cette page de René : « Levez-vous vite, orages désirés, etc., » confiait à Mme de Vintimille cet aveu : « Le style de M. de Chateaubriand me fait éprouver une espèce de frémissement d’amour ; il joue du clavecin sur toutes mes fibres. »

C’est cette existence malheureuse et passionnée que nous voudrions raconter. Mêlée aux événemens les plus tragiques de la révolution, à ceux qui la précédèrent comme à ceux qui l’accomplirent, elle nous permet d’étudier avec des documens ignorés en partie jusqu’à ce jour le rôle véritable de M. de Montmorin, comme ministre des affaires étrangères, la fin de la vieille France aristocratique et ces commencemens du consulat qui faisaient dire aux survivans de cette terrible époque : « Enfin la terre n’est plus attristée ! »


I

Pauline-Marie-Michelle-Frédérique-Ulrique de Montmorin appartenait à l’une des plus anciennes familles de l’Auvergne, à l’une des plus illustres maisons de la noblesse française. Le nom de Saint-Hérem avait été ajouté à celui de Montmorin le 28 mai 1421. On retrouve leurs aïeux dans les premières chartes du prieuré de Sauxillanges. Deux branches s’étaient formées à la fin du XVIe siècle. Le chef commun était alors François de Montmorin, gouverneur du haut et bas pays d’Auvergne, celui-là même qui, en 1572, lors du massacre de la Saint-Barthélémy, écrivit cette lettre célèbre à Charles IX : « Sire, j’ai reçu un ordre de Votre Majesté de faire mourir tous les protestans qui sont en ma province. Je respecte trop Votre Majesté pour ne point croire que ces lettres sont supposées, et si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’ordre est véritablement émané d’elle, je la respecte trop pour lui obéir. » Mme de Beaumont était très fière de son arrière-grand-père.

La branche aînée était représentée, en 1783, par Jean-Baptiste de Montmorint marquis de Saint-Hérem, seigneur de Vollore et de la Tourette, lieutenant-général, gouverneur de Belle-Isle-en-Mer et de Fontainebleau et par son petit-fils (le fils était mort en juillet 1779), qui succéda à ses charges et fut, comme son cousin, massacré en septembre dans des circonstances tragiques.

Le père de Mme de Beaumont, Armand-Marc, comte de Montmorin Saint-Hérem, appartenait à la branche cadette. Il était né au