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jeunes princes à Saint-Ildefonse, avait témoigné à l’ambassadeur de France tous les égards que méritaient l’habileté de sa conduite et la hauteur de sa tenue. Après six années de séjour en Espagne, Montmorin demanda à rentrer en France. le 3 mai 1784, M. de Vergennes lui adressait la lettre suivante :

« Le roi ayant bien voulu, monsieur, agréer votre retraite de la place de son ambassadeur à la cour de Madrid, j’ai pris les ordres de Sa Majesté sur l’indemnité qui vous est due pour les frais de retour de votre maison et de vos effets d’Espagne en France. Je vous annonce avec plaisir, monsieur, que Sa Majesté a bien voulu, sur ma proposition, vous accorder, pour cet objet, une gratification extraordinaire de cinquante mille livres.

« J’ai l’honneur d’être avec un profond attachement, votre très humble et très obéissant serviteur.

« DE VERGENNES. »


Très protégé par Mesdames tantes, Montmorin était destiné à rendre de nouveaux services. À peine installé à Paris, il fut appelé à commander en chef en Bretagne, en remplacement de son compatriote le marquis d’Aubeterre. Les têtes y étaient alors fort montées ; mille incidens graves ou futiles étaient l’objet de controverses, depuis les édits de Turgot et l’affaire du Collier jusqu’à Mesmer et Cagliostro. Les états de Bretagne, avec leurs privilèges particuliers, représentaient dans l’ancienne monarchie l’indépendant esprit provincial. Très jaloux de ses droits, chacun des ordres luttait pour leur défense, et ils se réunissaient ensuite pour les revendications communes vis-à-vis de la royauté. Une déclaration du 1er juin 1781 sur les octrois des villes était aux yeux des Bretons une violation du pacte fondamental de 1532, qui en réunissant à la couronne de France le duché de Bretagne, lui avait garanti ses antiques libertés, On exigeait le consentement formel des états pour toute levée de taxes. Le droit de fouage, espèce de taille réclamée par chaque feu sur les biens roturiers, excitait encore plus d’animosités intestines. On avait conçu le projet de créer avec des deniers du fouage un capital et de le convertir en rentes. L’injustice était de faire porter l’impôt sur la seule propriété roturière. Les communes ne cessaient de protester. La noblesse bretonne, qui tenait moins à son argent qu’à ses privilèges, ne voulait pas entendre parler de redevances qui l’auraient rendue taillable. Le comte de Montmorin, sur la question des octrois, trouva le moyen de s’entendre avec la commission permanente chargée par les trois ordres de faire parvenir au roi leurs doléances. L’affaire du fouage ne fut réglée que quelques mois avant 1789 et amena des luttes sanglantes dans les rues de Rennes. Le comte de Thiars commandait alors la province.