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aux portes de Paris de cette belle terre de Montigny, connue par tous les philosophes du XVIIIe siècle, ils ne faisaient que continuer, en protégeant les lettres et les arts, les traditions de leur père et surtout de leur illustre aïeul.

Leur arrière-grand-père, successivement intendant de Lyon, de Dijon, et conseiller d’état, beau-frère du chancelier Voisin, d’une probité rigide, honoré de la confiance de Louis XIV, s’était marié, en 1700, avec Mlle de La Sablière, petite fille de l’amie de La Fontaine. Il avait eu de son mariage cinq enfans, dont un seul survécut. Ce fils, qui porta très haut le nom de la famille, était conseiller au parlement à vingt-un arts. Sur les instances du cardinal Fleury et de d’Aguesseau, il acheta une charge de maître des requêtes et fut nommé intendant d’Auvergne. Il y resta cinq années, et ce fut dans ses nouvelles fonctions que ses talens commencèrent à se développer. Il avait à peine trente ans. L’Auvergne lui doit les routes entre la plaine et la montagne. Nul doute qu’à cette époque n’aient commencé les relations affectueuses avec les Montmorin, seigneurs influons de la province.

En 1734, le cardinal Fleury lui proposa la charge d’intendant des finances avec le département du domaine ; mais il n’eut une véritable occasion de faire connaître et la fermeté de son caractère et l’étendue de ses lumières que lorsque le contrôleur-général Orry lui confia la direction des ponts et chaussées. Trudaine conduisit ce département pendant trente ans. Par l’étendue de ses projets, par la suite qu’il mit dans les détails et l’économie avec laquelle il dirigea les travaux, il sut, a dit Condorcet, mériter l’estime de la nation. Enfin le roi l’obligea de se charger aussi de la direction du commerce lorsque le titulaire, M. Rouillé, fut appelé aux fonctions de secrétaire d’état de la marine.

L’industrie nationale, particulièrement celle de l’ameublement sous toutes ses formes, prenait en France un essor considérable. Les idées économiques s’éveillaient ; l’école des physiocrates grandissait en influence et semait des idées. M. de Trudaine était porté vers les doctrines de liberté commerciale ; lié avec M. de Machault, il s’inspirait des vues originales et vigoureuses de cet éminent esprit. Tout autre eût été écrasé par un travail surhumain ; il y suffisait en allant se reposer fréquemment à Montigny, y donnant l’hospitalité à toutes les célébrités à la mode, étant l’ami à la fois de Mme Du Deffand et de Mme Geoffrin et correspondant de Voltaire. Les Mémoires de l’abbé Morellet abondent en détails pleins d’intérêt sur ce grand-père des deux jeunes amis de Mme de Beaumont. Mais rien ne vaut le témoignage du patriarche de Ferney. Il écrivait le 15 janvier 1761 à Mme Du Deffand : « M. de Trudaine ne sait ce qu’il dit quand il prétend que je me porte bien ; mais en vérité c’est la seule