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champ de bataille, l’opposition s’occupa immédiatement de réviser les lois, et elle s’y prit de la manière la plus simple ; la législation d’avant la grande réforme fut purement et simplement rétablie, mais en intervertissant l’ordre des sexes ; où le législateur avait écrit « homme, » on mit « femme, » et réciproquement. En somme, c’était assez juste. Depuis tant de milliers d’années que les hommes légiféraient sur les femmes, ils avaient constamment négligé le précepte : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ; » on leur appliquait la peine du talion.

Cette grande révolution avait porté ses fruits au moment où s’ouvre le volume de la Révolte de l’homme. Les femmes avaient accaparé les fonctions publiques et les professions libérales, elles étaient ministres, gens de loi, facteurs, sergens de ville. M. Walter Besant s’efforce naturellement de montrer que sous leur gouvernement tout allait mal. Je ne saurais être de son avis. Il y avait, comme dans toutes choses humaines, un mélange de bon et de mauvais ; seulement les choses allant bien et les choses allant mal n’étaient pas les mêmes que sous l’ancien gouvernement masculin.

L’industrie souffrait. A force de faire des lois, par bonté d’âme, pour protéger l’ouvrier contre les métiers dangereux ou insalubres, le nouveau régime avait été obligé de fermer beaucoup d’usines et avait rendu un air champêtre à Birmingham et à Manchester.

L’ignorance des jeunes générations mâles, réduites aux anciens cours de demoiselles, avait porté un coup funeste aux lettres et aux sciences. Les femmes avaient amèrement trompé à cet égard les espérances de leur parti. Elles s’étaient emparées des établissemens d’instruction supérieure, elles avaient passé autant d’examens qu’un jeune Français de l’an 1883, elles avaient conquis d’innombrables diplômes, écrit des monceaux de livres : la faculté créatrice n’était pas venue. Cent cinquante ans après l’émancipation, la célèbre lettre de Joseph de Maistre à sa fille, sur les chefs-d’œuvre que les hommes ont faits et que les femmes n’ont pas faits, était aussi vraie que le jour où le grand réactionnaire l’avait écrite.

Il y avait encore une ou deux ombres au tableau, mais le chapitre des compensations n’était pas à dédaigner. La paix, sinon la satisfaction, régnait dans tous les ménages anglais. Quelques mesures coercitives sagement entendues en avaient banni les habitudes de violence auxquelles la populace de la Grande-Bretagne avait dû jadis un renom de brutalité. Dès qu’il avait été acquis que les maris qui battaient leur femme étaient mis en prison, les mœurs des maris anglais s’étaient soudainement adoucies. Le changement de vie avait achevé la métamorphose. Depuis que les mères étaient occupées au dehors, les pères avaient dû les suppléer à la maison. Ils tenaient le ménage, gardaient