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politique, proposa insolemment de voter une adresse de remercîmens à la duchesse de Dustanburgh pour avoir causé la chute du gouvernement. La duchesse ayant protesté avec indignation, le même membre conseilla à ses collègues de s’en aller chacune chez soi et donna l’exemple de la retraite. Une centaine de pairesses l’imitèrent. Les autres s’opiniâtrèrent, qui par courage, qui par curiosité. Tout à coup les trompettes sonnèrent, les portes s’ouvrirent… Mais à quoi bon vous conter ces choses ? Il suffit de dire qu’il n’y eut pas d’effusion de sang, que le comte de Chester fut proclamé roi, qu’il épousa Constance et que les états britanniques reprirent promptement, en apparence au moins, leur ancienne physionomie.

On se doute bien que les affaires privées furent plus difficiles à régler que les affaires publiques. La transmission de l’autorité à l’intérieur des ménages ne se fit pas sans tiraillemens. Les Anglais avaient été humiliés et persécutés, ils se dédommagèrent. Leurs exigences firent repentir amèrement les Anglaises d’avoir abandonné la politique séculaire de leur sexe et d’avoir voulu joindre les apparences du pouvoir à ses réalités. Peu à peu, cependant, les choses rentrèrent dans l’ordre ; les femmes obéirent à leurs maris et les maris ne firent rien sans consulter leurs femmes. Il en est ainsi depuis que l’homme est homme et que la femme est femme, et il en sera de même aussi longtemps qu’il y aura sur la terre des ménages bien ordonnés, c’est-à-dire, dans ma conviction profonde, jusqu’à la fin du monde.

Les personnes qui croient nécessaire de faire des lois pour atteindre ce résultat devraient méditer l’histoire de Saturne et de Rhéa. Saturne mangeait ses enfans. Rhéa n’eut garde d’en appeler avec cette brute à la justice et à la raison. Elle emmaillota des pierres et les donna à son époux en lui assurant que c’étaient des enfans. Saturne la crut, mangea les pierres et fut content. Où est le mari à qui sa femme n’a pas fait avaler des cailloux ? — On pourrait aussi proposer aux réflexions des mêmes personnes le mot connu d’une illustre princesse : — Sous les reines, disait-elle, ce sont les hommes qui gouvernent, tandis que sous les rois, ce sont les femmes. — Assurément, Abraham eut tort de chasser Agar et les Turcs sont à blâmer, mais les femmes seraient bien imprudentes de compromettre pour des chimères leur situation actuelle dans l’univers civilisé. Ce serait lâcher la proie pour l’ombre. Les avantages de la position de sexe faible et opprimé sont irremplaçables, surtout quand on est réellement le sexe faible. C’est ce que tous les vrais amis des femmes doivent leur remontrer, et c’est pourquoi la Révolte de l’homme est un petit livre très moral.


ARVEDE BARINE.