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permis qu’elle apprît le secret de sa naissance. Qu’est-ce que Montgiraud ? Un brave garçon qui dissipe son argent et gardera toujours un cœur d’or ; un viveur qui ne commet des péchés que pour se ménager de quoi se repentir ; le saint Augustin du foyer de la danse et le meilleur ami de Trévisan. Montgiraud a reçu le dernier soupir de la danseuse pendant que Trévisan taillait une banque au baccarat ; Montgiraud, depuis quinze ans, a été la nourrice, le tuteur, le correspondant de Georgette. Il l’a placée dans une pension ; il est allé la voir le jeudi et le dimanche, il lui a porté des gâteaux, il a commandé ses robes. Trévisan est si occupé, si distrait, si léger ! Il n’a guère eu de nouvelles de Georgette que par Montgiraud ; il est vrai que, chaque fois, il les avait toutes fraîches, car, depuis quinze ans, Montgiraud s’est ruiné : il habite un pavillon dans le jardin de Trévisan et n’emploie qu’à ses menus plaisirs les douze mille livres de rente qui lui restent. En retour de cette hospitalité, il gouverne la maison de Trévisan, que ses gens mal surveillés mettaient au pillage : — « Je suis ton intendant, lui dit-il avec un sourire. — Non, puisque tu ne me voles pas ! »

Ce n’est pas un incendie qui ramène Georgette chez son père ; c’est plutôt un pompier, c’est Montgiraud. Georgette a fini ses études : « bon ami » a fait meubler pour elle le pavillon qu’il habite ; il se réfugiera dans une petite chambre, sous le toit ; il donne un coup d’œil à ses préparatifs de réception et va partir pour la gare, quand survient Trévisan : « On se croirait chez une jeune fille. — En effet, nous sommes chez Georgette. — Chez Georgette ! .. » — Trévisan n’est pas un méchant homme, mais la voix du sang chez lui n’est qu’un petit souffle ; cette paternité à domicile le surprend et l’inquiète ; il pense que Georgette va gêner terriblement leur vie de garçons. Montgiraud le chapitre doucement, lui dit qu’il se calomnie et finit par dégeler son cœur : « — Va la chercher, s’écrie le comte ! Elle sera la bienvenue. » — Montgiraud va la chercher ; il la présente à son père, comme à l’ami dont il lui a tant parlé, dont il ne faisait que lui transmettre les bienfaits. Puis il veut se retirer, et Trévisan veut le retenir : un tête-à-tête avec sa fille intimide ce père ; il ne sait comment la traiter, il ne sait même pas comment il l’aime, il ne la connaît pas, il ne se connaît pas. La scène est finement touchée. Georgette, aussitôt seule avec le comte, l’interroge sur ses parens : à toutes ses questions il reste fermé, presque froid ; il ne veut pas se compromettre en de trop bons sentimens. Cependant, lorsque revient Montgiraud, il trouve que le père et la fille sont camarades : pour fêter le retour de l’enfant, Trévisan, malgré certaine invitation galante, dînera au logis ; il va faire frapper le Champagne : « Quelle marque préférez-vous, Georgette ? » demande-t-il étourdiment. Et Georgette de répondre : « Du Champagne ! mais je n’en ai jamais bu ! »