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le monde « en nous rappelant que si la politique de la France est une politique résolument pacifique, il ne lui est pas permis d’oublier les « grandeurs de son histoire. » Comment tout cela est-il arrivé ? C’est que nos députés et nos ministres ont su utiliser ces quatre mois et demi de session. On a résolu le problème de la magistrature ! On a fait la conversion ! On a décidé aussi l’expédition du Tonkin ! Moyennant quoi il est prouvé que le gouvernement a été restauré à l’intérieur, qu’il y a « maintenant une France à l’extérieur, » — et M. le ministre des travaux publics peut déclarer sans fausse modestie que, depuis l’avènement du cabinet dont il fait partie, « la France offre le spectacle réconfortant d’un grand peuple confiant dans son gouvernement. » Voilà qui est parler, et c’est ainsi que l’imagination ministérielle se flatte de conquérir ou de tranquilliser le pays, qui n’est peut-être pas bien sûr d’être si heureux, — qui en est plutôt à sentir déjà tout ce qu’il y a de décevant ou de périlleux dans la politique qu’on lui fait.

Le malheur est que les discours ne changent rien et que ce qui manque le plus précisément aujourd’hui, c’est cette idée de gouvernement dont M. le ministre des travaux publics et ses collègues parlent en hommes qui se contentent de peu ; c’est une volonté un peu précise appliquée aux affaires de la France, maintenant un certain ordre, une certaine direction dans sa politique intérieure, s’efforçant aussi, de mettre un peu d’esprit de suite et de prévoyance dans sa politique extérieure. On ne demanderait sûrement pas à ce ministère, qui date, de quatre mois et demi, comme on le dit, de faire de grandes choses, qui ne sont jamais faciles, qui ne le sont pas surtout à l’heure qu’il est ; on lui demanderait de parler avec un peu moins de jactance et de savoir agir, de servir modestement le pays, d’avoir une opinion et de la soutenir avec quelque fermeté ; on pourrait lui demander encore de se faire le guide d’une chambre des députés incohérente au lieu d’être le complaisant de toutes les fantaisies, de diriger, de régler les travaux parlementaires au lieu de paraître résumer assez invariablement son système dans ce mot de M. le ministre de la guerre : « À vos ordres ! » M. le ministre de la guerre s’est fait effectivement une politique commode pour éviter les conflits qui pourraient l’embarrasser. À tous ceux qui, sous prétexte de réformer les institutions militaires, s’occupent de désorganiser l’armée, il répond qu’il est à leurs ordres. M. le président du conseil et quelques autres de ses collègues, avec un peu plus de raideur extérieure, ne sont pas en réalité moins soumis que M. le ministre de la guerre, et s’ils ont par instans quelque velléité de résistance, ils s’arrêtent le plus souvent assez vite ; ils sont liés par toutes leurs connivences avec les passions du jour, surtout dans ces affaires d’enseignement, de religion, qui reviennent sans cesse ; ils sont enchaînés par leur propre politique, qui les domine et les pousse plus qu’ils ne le voudraient peut-être. Tout ce qui se passe aujourd’hui