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Tout le Ve siècle de l’église a été occupé par la querelle entre les eutychéens monophysites et les nestoriens. D’une part, le dogme même était gravement menacé ; d’autre part, les passions populaires, en Occident et en Orient, se précipitaient vers les questions religieuses. Il en résulta un schisme, qui n’interrompait pas les disputes, quelquefois sanglantes. Or chacun des deux partis, le catholique romain, divisé en modérés et violens, et le byzantin, se combattaient par toute sorte d’armes, en particulier par des écrits, biographies, légendes, chroniques, qui se répandaient rapidement et devenaient populaires. La première partie du Liber pontificalis a pu avoir quelque chose de ce caractère militant. Il y aurait eu plusieurs catalogues pontificaux différant entre eux seulement par quelques traits, mais ces traits étaient de grande importance. Chaque parti voulait avoir sa chronique des évêques de Rome. La couleur du récit concernant certains papes, qu’on pouvait modifier par quelques mots, n’importait pas seule ; on conçoit que le fait d’être inscrit ou passé sous silence, d’être désigné comme pape ou antipape, avait une extrême gravité. On ne saurait d’ailleurs attribuer à la première partie du Liber pontificalis une origine vraiment officielle, tant le style y est éloigné des formes correctes de la chancellerie romaine, tant y règne un mélange étonnant de renseignemens authentiques avec les fables les moins acceptables. On y retrouve les contrecoups de toutes les péripéties religieuses de la fin du Ve et des commencemens du VIe siècle. Théodoric y est bien traité aussi longtemps qu’il défend le parti que le rédacteur tient pour orthodoxe ; il est appelé hérétique dès qu’il cherche quelque conciliation avec l’Orient. Les papes romains eux-mêmes deviennent suspects s’ils paraissent incliner vers une telle conciliation.

Il est curieux que le même caractère de polémique paraisse s’être étendu dans le même temps à la série de portraits des papes que possédait l’ancienne basilique de Saint-Paul hors les Murs, voisine de Rome. Tout voyageur a admiré dans cette basilique, presque détruite par l’incendie du 15 juillet 1823, les restes des anciennes mosaïques, la porte de bronze fabriquée à Constantinople en 1070, et le cloître, œuvre délicate de la première moitié du XIIIe siècle ; mais combien n’est-il pas regrettable, pour l’histoire et pour l’art, que nous ne puissions plus, avec ce qui reste de débris, reconstituer la série des portraits qui ornaient l’enceinte intérieure de l’église ! Ils étaient fort ruinés dès avant l’incendie, et nous n’en avions de connaissance que par ce que deux antiquaires italiens, Marangoni et Bianchini, en avaient noté et dessiné au commencement du XVIIIe siècle. M. Duchesne en a retrouvé une reproduction plus ancienne d’un siècle dans un manuscrit de la bibliothèque