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Pourquoi et comment est-il arrivé en France que la poésie et l’art du moyen âge, nés du fonds national, aient été étouffés par l’imitation classique et les importations étrangères ? Que serait devenu l’art gothique, livré à son propre développement ? Quels fruits aurait portés le prodigieux épanouissement de la littérature poétique de notre moyen âge ? L’inspiration de nos légendes carlovingiennes n’aurait-elle pas convenu au génie d’un Corneille et d’un Racine aussi bien que les traditions grecques et romaines ? Autant de questions qui, par leur importance, pourraient bien relever aussi de l’histoire générale, et non pas seulement de l’histoire littéraire. De l’histoire littéraire et de l’histoire de l’art, l’esprit critique de notre temps attend plus qu’on ne leur demandait autrefois. Nous ne sommes plus tentés de fermer les yeux à l’entier développement de l’architecture pour n’admirer qu’une seule école, au nom de certains principes convenus. Nous ne redisons plus avec Boileau :


Durant las premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisoit toutes les lois.


Nous savons que par ces « premiers ans » il faut entendre huit, neuf et peut-être dix siècles, du Ve au XVe ; nous savons que, pendant cette longue durée, les langues et les littératures romanes se sont développées selon des règles aussi inviolables que celles qui régissent tout l’esprit humain ; nous savons que nul caprice ne saurait, particulièrement en linguistique, créer des lois. En un mot, toute une science nouvelle est née depuis Boileau : elle s’appelle la grammaire comparée ; elle a refait l’histoire de notre langue et, peu s’en faut, celle de notre littérature.

Ses démonstrations ne sont pas encore achevées, en ce sens du moins que toutes les conséquences des règles qu’elle a découvertes ne sont pas encore déduites ou, tout au moins, n’ont pas suffisamment pénétré dans l’enseignement. Une disposition officielle recommandait naguère aux professeurs de nos lycées de retracer en une série de leçons proportionnées à leurs auditoires l’histoire des littératures grecque et latine et celle de la littérature française. Ils doivent y joindre les principaux traits de l’histoire de l’art. C’est une excellente innovation. Assurément l’étude de Virgile, considéré dans l’ensemble et la portée entière de son œuvre, dans l’état d’esprit et la disposition morale qu’ont inspirés au poète les événemens et les idées de son temps et les exemples qui l’avaient précédé, une telle étude, ou bien celle d’Homère ou des tragiques grecs rapprochés des monumens de l’art qu’ils ont fait naître, serait tout autre chose que ce travail sans nom, sur quelques pages seulement d’un ou