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deux ouvrages classiques, auquel sans cela les élèves sont condamnés. Et n’est-ce pas aussi un devoir de l’enseignement national de cesser de compter pour rien notre vieille langue, une littérature qui a produit tant d’œuvres vraiment françaises, un art qui a eu tant d’éclat ? Quoi qu’on ait innové à ce sujet, nous avons sûrement dans cette voie beaucoup de progrès à faire.

Qui croira que l’École française de Rome n’ait ici aucun rôle et qu’elle ne doive pas aider à ces progrès ? Elle a mission, lorsqu’il s’agit de périodes comme celle du moyen âge, dont beaucoup d’œuvres sont encore inexpliquées ou mal connues ou inédites, de mettre les ressources de l’érudition, linguistique, philologie, paléographie, comparaison des textes, au service de l’histoire littéraire. Elle en a les moyens, puisqu’elle reçoit de l’École des chartes et de l’École des hautes études de jeunes érudits bien préparés à étudier les documens originaux dont les bibliothèques romaines et italiennes sont abondamment pourvues. Ceux de ses membres qui s’occupent du moyen âge peuvent contribuer de la sorte à l’avancement de la science et à celui de l’enseignement, et susciter par l’exemple de leur succès un plus grand nombre de vocations vers la philologie française et vers l’étude des littératures néo-latines.

On sait qu’après la chute de l’empire romain, pendant que le latin savant persistait dans les couvens et dans les écoles, le latin vulgaire, jusque-là presque inaperçu, se développa chez les divers peuples de la domination romaine selon des lois communes qui n’empêchaient pas de certaines variétés. Il en résulta ce qu’on appela la langue romane, qui fut à peu près la même d’abord chez toutes les nations néo-latines. Le texte roman du serment de Strasbourg de 842 est le seul important spécimen qui nous reste de cet idiome, dont la science actuelle parvient toutefois à restituer les formes originaires. Raynouard avait compris, dès 1821, mais sans aller jusqu’au bout de sa découverte, que la comparaison de ces différens idiomes pouvait seule éclairer l’histoire de chacun d’eux. Dietz en 1836 a achevé la démonstration ; il a fait pour les langues romanes ce que Bopp et Grimm avaient fait pour les langues indoeuropéennes.

L’ancienne Gaule avait été soumise politiquement à des conditions bien diverses ; elle n’avait pas subi de même ni aussi longtemps, au nord et au sud de la Loire, la domination romaine et plus tard la conquête germanique ; les différences de climat et de génie étaient profondes. La langue nouvelle n’y resta donc pas partout identique : on eut au nord de la Loire la langue d’oïl et le pays des trouvères, et au sud la langue d’oc avec les troubadours. On sait ce que fut l’éclat des premiers. Depuis le commencement du VIIe jusqu’au Xe siècle, on voit naître des chants nationaux,